Il y a trois ans, la multinationale Unilever décidait de fermer l’usine de thé Lipton et de tisanes Eléphant de Géménos (Bouches-du-Rhône), laissant sur le carreau 182 salariés. Une centaine d’entre eux continue de se battre pour redémarrer la production dans le cadre d’une coopérative ouvrière (SCOP). Ils sont venus la semaine dernière dans les Baronnies s’approvisionner en tilleul.
Trois anciens salariés de Fralib, qui depuis plus de 1000 jours occupent leur usine et se battent pour sauvegarder leurs emplois et leur savoir faire, avaient rendez vous lundi 26 août à 13h30 devant l’entrepôt de l’entreprise Phytotec au quartier de la Grange Neuve à Mollans sur Ouvèze. Parmi eux Nadine Fiquet responsable de la commission « qualité et analyse » de la coopérative ouvrière baptisée « Société coopérative ouvrière provençale de thés et infusions » (Scop T.I), dont le principal objectif est la reprise à Gemenos d’une production arrêté depuis 3 ans.
Accueillis par plusieurs militants du Front de Gauche et le directeur de Phytotec Robert Gozzi, ils étaient venus de Marseille pour effectuer des tests de coupe de tilleul destiné à des sachets « mousseline » pouvant être produits sur les machines de Géménos. « L’objectif est aussi de nouer des relations avec les filières d’approvisionnement en matière première en s’adressant directement aux producteurs locaux afin d’obtenir au juste prix des produits de qualité. Contrairement à ce que faisait Unilever, qui utilisait notamment des substituts chimiques en guise d’arôme, nous souhaitons produire des infusions aux saveurs naturels possédant toutes les garanties sanitaires» explique Nadine Fiquet.
Reconnaître le travail de l’agriculteur
Pour effectuer les tests, les « Fralibiens » ont acheté au prix de 18 € le kilo, à Bruna Rochas, producteur à Rioms, 250 kg de tilleul certifié Bio qu’ils se sont fait livrer à Phytotec. « Un tarif particulièrement attractif, nettement au dessus du prix habituel de vente du tilleul dans la région et qui permet de reconnaitre le travail de l’agriculteur en lui versant une juste rémunération » souligne Nadine Fiquet. « Cette première livraison sera immédiatement utilisée par le comité d’entreprise pour lancer une première production militante de sachets « mousseline » de tilleul des Baronnies, destinés à être vendus, entre autres, à la fête de l’Humanité les 13, 14 et 15 septembre ».
Ces acheteurs particuliers ont aussi profité de leur passage à Buis les Baronnies pour expliquer aux buxois comment « la victoire des ouvriers face à la multinationale Unilever pourrait relancer la production agricole de tilleul dans les Baronnies », selon la formule de Gérard Cazorla, le très médiatique secrétaire (CGT) du comité d’entreprise. Alors, sur la place des Arcades au beau milieu du marché mercredi matin, devant une grande banderole revendicative, les Fralib distribuèrent tracts et appels à souscription, expliquant longuement aux passants la nature autogestionnaire de leur démarche et comment les producteurs locaux de tilleul pourraient y participer et y trouver intérêt.
Relancer la filière tilleul ?
Aussi, dans l’après midi, avant d’aller récupérer à Phytotec leur tilleul finement coupé, les visiteurs rencontraient en mairie les élus du territoire en la personne du maire Jean Pierre Buix, de la conseillère générale du canton Marie Claire Cartagéna, du vice président de la région Rhône Alpes en charge de l’agriculture Michel Grégoire ainsi que des représentants du futur Parc des Baronnies Provençales, Lionel Tardy et Gilberte Brémond. Il s’agissait de savoir comment les producteurs locaux pourraient approvisionner en tilleul Bio l’usine de Gémenos dans l’hypothèse d’une reprise de ses activités. Très attentifs aux propos tenus par les « Fralibiens », les élus furent tous intéressés par un projet qui permettrait de relancer la filière tilleul en sommeil depuis une dizaine d’années.
Mais si, de part et d’autre, une volonté commune s’est manifestée, il semble bien qu’il reste encore trop d’inconnu du coté de Fralib pour faire tomber de nouveau en pluie les bractées de tilleul dans les bourrasses des Baronnies. De quels tonnages de tilleul la coopérative ouvrière aura-t-elle besoin et à quelle échéance, ont demandé les élus locaux aux représentants syndicaux qui ne furent pas en mesure de répondre. La question du résultat des futures négociations entre les irréductibles de Fralib et la direction d’Unilever (qui pour l’instant se refuse à toutes négociations), semble bien en effet la pierre d’achoppement à la reprise de la production à Géménos et au succès d’un projet alternatif de gestion dans le cadre d’une coopérative ouvrière (voir l’interview de Gérard Cazorla). Dans les Baronnies pourtant, on ne demande qu’à y croire !
« Pour une rémunération équitable de tous »
Trois questions à Gérard Cazorla, secrétaire (CGT) du comité d’entreprise de Fralib.
Question : Comment définissez vous le projet alternatif de production que vous mettez en place dans le cadre d’une coopérative ouvrière ?
Gérard Cazorla : « A l’origine, notre premier objectif était de conserver nos emplois et de maintenir notre outil de travail en nous opposant à la fermeture de l’entreprise décidée par Unilever. Mais rapidement on s’est aperçu qu’il ne suffisait pas de sauver l’outil de travail et de reprendre nous-mêmes la production, mais qu’il fallait aussi envisager de travailler autrement. Travailler pour nous les travailleurs et non pour gaver des actionnaires. Travailler pour produire des produits sains et de qualité qui rémunèrent équitablement tous ceux qui participent à la chaîne de production, à commencer par l’agriculteur. C’est pourquoi, grâce à la médiation du groupe de militants du Front de Gauche des Baronnies, nous avons souhaité nouer des contacts avec les producteurs de tilleuls afin de mettre en place une filière courte capable d’approvisionner une production de sachets de tisane que nous espérons prochaine. »
Question : Justement, en dehors de cette production militante de quelques centaines de kilos de tilleul, qu’elles sont les prévisions de reprise de la production dans le cadre de la SCOP T. I. ?
Gérard Cazorla : « Aujourd’hui, après l’annulation successive en justice des trois Plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), nous sommes face à des échéances juridiques qui, en septembre ou octobre, peuvent renverser la situation… Ce que nous demandons, en vain depuis 3 ans, c’est de pouvoir ouvrir avec la direction d’Unilever, une vraie négociation portant sur la reprise de l’entreprise par notre coopérative ouvrière. Une négociation qui porterait notamment sur la marque « Eléphant » que nous souhaitons conserver, ou sur le lancement éventuel d’une marque méridionale différente, et sur la garantie qu’Unilever nous accorde des volumes de sous-traitance pendant 5 ans… ». Mais pour cela, il faudrait que le gouvernement soutienne cette négociation. Notre demande n’est pas si utopique que cela : Unilever a déjà accordé dans le passé de telles conditions à des repreneurs. Ainsi la marque Royco en France ou Miko en Espagne…
Question : En dehors du tilleul des Baronnies êtes vous en train d’activer d’autres sources d’approvisionnement en matières premières ?
Gérard Cazorla « Pour le thé nous maintenons des contacts avec des producteurs en Chine et au Vietnam. Nous étudions également avec des producteurs de la région PACA la possibilité de produire des sachets de tisanes à partir de plusieurs plantes aromatiques régionales. Nous avons aussi l’intention de développer des produits nouveaux et originaux, comme par exemple, le thym aromatisé en sachet. A cet effet nous somme en contact avec des producteurs de thym à Trets (Bouche du Rhône) qui nous ont fourni des échantillons pour des essais sur nos machines. »
Pour en savoir plus :
Le point de vue de la CGT : http://cgt.fralibvivra.over-blog.com/
Le point de vue de la direction d’UNILEVER : http://www.fralib.fr/
Article et photos d’Alain Bosmans, paru intégralement dans « L’agriculture Drômoise » du 5 septembre 2013 et partiellement dans le « Dauphiné Libéré » du 31 août 2013.