Les Charbonniers de la Résistance

(Articles du Dauphiné Libéré des 3 et 4 novembre 2005)

 

Réuni à l'invitation d'un village des Baronnies Drômoises qui en fut le théâtre voila plus de 60 ans, un groupe d'historiens de la Résistance lance un appel à témoin et une campagne pour faire connaître l'étonnante épopée des maquis d'antifascistes allemands en France entre 1942 et 1944.

 

On a déjà beaucoup écrit sur la Résistance ! Pourtant, le sait-on, sous l'occupation, des maquis antifascistes allemands luttèrent, en Cévennes et dans les Baronnies, les armes à la main, aux cotés de la Résistance française. La plupart étaient des militants de partis ouvriers qui eurent à fuir les persécutions du national socialisme dans leur pays dés 1933. Réfugiés apatrides, ayant pour certains participé à la guerre d'Espagne aux cotés des Républicains dans les Brigades Internationales, ils furent jugés indésirables au moment de l'invasion de la France par la Wehrmach et bientôt enrôlés de force dans les Groupes de Travailleurs Etrangers (GTE) mis en place par Vichy, quand il ne furent pas purement et simplement livrés aux autorités occupantes. C'est en désertant ces GTE que la plupart rejoignirent les premiers maquis cévenols où leur expérience militaire, leur connaissance de l'allemand et des rouages de la machine militaire d'occupation, furent précieuses.


Le village du Poët en Percip, au grand complet, réuni devant la Mairie pour assiter à la réunion d'historiens

Pourtant l'intégration de ces antifascistes dans les maquis français n'allait pas de soi… Beaucoup de leurs compagnons français ne comprenaient pas pourquoi des allemands voulaient se battre contre d'autres allemands… Et si cette intégration des émigrés allemands dans le maquis fut, malgré tout, possible cela s'explique par les régions où elle s'est réalisée: Les Cévennes et les Baronnies. En terre Huguenotes des Cévennes ou dans les Baronnies Drômoises, de tous temps, la tradition de "refuge" y est forte et on y accueille, plus facilement qu'ailleurs sans doute, les exilés, les persécutés, qu'ils fussent français ou étrangers, protestants ou juifs, républicains ou communistes.


Gunter Leitzgen, Jacques Estève et Robert Sylve lors de la réunion en Mairie du Poët en Percip

Aussi n'est-ce pas un hasard si c'est depuis la mairie d'un minuscule village des Baronnies drômoises, que fut lancé lundi dernier, un appel de plusieurs historiens et villageois pour que soit mieux connu cette étonnante histoire des maquis d'antifascistes allemands en France entre 1942 et 1944. Ici, au Poët en Percip, village perché qui fait face aux Ventoux à plus de 1000 m d'altitude et qui ne compte plus aujourd'hui qu'une dizaine d'habitants, on se souvient encore de cette poignée d'allemands qui faisaient du charbon de bois à la ferme abandonnée "La Verrière". Venant de Lozère, ces "Charbonniers de la Résistance" séjournèrent de mai à octobre 1943, avant de s'en aller à Séderon où, disait-on, la gendarmerie y étaient moins pointilleuse sur leur identité.


A Séderon la baraque "Belleray" en 1943

A Séderon, les résistants allemands devaient rejoindre un groupe de bûcherons composés de français bientôt complété par des italiens. Les allemands étaient logés dans une baraque "Belleray". Les arbres étaient coupés à la hache pour le compte d'une entreprise de Sisteron, le charbon de bois produit était destiné à un syndicat français de boulangers. Voila ce que l'on sait grâce au seul ouvrage qui fut jamais consacré à cet épisode, écrit par Eveline et Yvan Brès, édité en 1987 aux Presses du Languedoc/Max Chaleil et aujourd'hui épuisé.


Les allemands de la baraque "Belleray" à Séderon photographiés en compagnie de résistants français

Lors de la réunion qui s'est tenu au Poët en Percip à l'initiative conjointe du maire Jacques Estève, de l'historien français Robert Silve et de l'historien allemand Gunter Leitzgen, en présence de toute la population du village (élargie en ce long week-end de Toussaint), plusieurs témoignages furent recueillis. Mme Claire Vidal (née Meynard) ou encore Jean Estève se souviennent que les allemands au nombre d'une demi douzaine venaient se ravitailler au village chez leur parents, ils se faisaient passer pour des alsaciens qui avaient fui l'annexion allemande et au printemps 43 ils aidèrent à faire les foins dans plusieurs fermes.


L'historien allemand Gunter Leitzgen recueille le témoignage de Claire et Marcel Vidal

A l'instigation de Robert Silve, à qui l'on doit d'avoir fait revivre l'histoire du "Train Fantôme" et de la douloureuse traversée de l'agglomération de Sorgues par une colonne de 700 détenus en partance pour Dachau et Ravensbruck le 18 août 1944 (soit exactement huit jours avant la libération de cette localité vauclusienne), tous souhaitent aujourd'hui que cette résistance des antifascistes allemands jusqu'alors méconnue, soit explorée et qu'une large diffusion de l'épopée de ces hommes soit faite.


Aprés la réunion, un repas était offert par la Mairie

Depuis le Poët en Percip lundi dernier un appel aux derniers témoins de ces événements (ou à leur descendants qui auraient pu en avoir entendu parler) fut lancé afin que l'on puisse mieux reconstituer l'histoire de ces "Charbonniers de la Résistance", de leurs pérégrinations dans les Cévennes et dans les Baronnies. Chacun ayant eu à cœur de souligner que leur vie et leur combat auront, d'une certaine manière, sauvé l'honneur de leur pays et que, 60 ans après, à l'heure de l'Union de plus en plus forte des peuples d'Europe, leur courageuse aventure résonne d'une singulière exemplarité.

Une association "Les Charbonniers de la Résistance" est en cours de constitution. Les témoignages et soutiens sont à adresser à la Mairie du Poët en Percip – 26170 – Le Poët en Percip - tel Jacques Estève 04 75 28 07 96 – Courriel: alain.bosmans@wanadoo.fr


Groupe d'antifascistes allemands de la 104ème Compagnie, au lendemain de la Libération de Nîmes, du côté de Remoulins. De gauche à droite : au premier rang, assis ou accroupis: Albert Rucktaschel, Hermann Leipold, Ernst Winkler (Autrichien, prisonnier de guerre), Hans Reichard, Ernst Frankel (Autrichien), Hermann Mayer. Au second rang : Richard Hilgert, Max Dankner, Hein Hasselbrink, Hans Scheifele (Autrichien, déserteur de l'organisation Todt), Martin Kalb, un Autrichien - prisonnier de guerre , Andréas Voiz, Franz Exner, Emil Ganzert ("Franchet"), Félix Herger.

Texte et Photos d' Alain Bosmans - Le TAM-TAM DES BARONNIES
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