MARCHANDS
DE RÊVE |
||
Ils parlent de la mer comme on parle de son verger. Ils racontent avec désinvolture la vie d'une famille autour du monde à bord d'un petit voilier de 12 mètres pendant 25 ans comme si nous pouvions l'imaginer. Leur mystérieuse spiritualité et leur enthousiasme juvénile soulèvent le rêve et l'émotion. Georges et Michèle Meffre sont-ils ces aventuriers modernes dont la vie se décline comme un roman ? Ils s'en défendent ! Et pourtant ! |
||
Rien ne prédisposait George et Michèle Meffre à partir bourlinguer toute leur vie à travers le monde, encore moins sur la mer. Tous deux originaires des Baronnies, lui fils d'une famille de sept enfants fort connue à Nyons et elle Vinsobraise de veille souche s'étaient bourgeoisement mariés à 18 ans. Nous sommes au début des années 70, deux enfants voient le jour et à Nyons l'entreprise paysagiste familiale prospère avec une flatteuse réputation.
"J'avais 28 ans et j'avais déjà réussi ma vie. L'entreprise tournait avec une dizaine d'employés, Michèle qui avait été secrétaire au Cellier des Dauphins était maintenant à mes côtés, nos deux enfants Sébastien et Lélia avaient 9 ans et 6 ans, tout était parfait. Et pourtant, il nous manquait quelque chose de vital ! J'avais le sentiment que nous passions à coté de quelque chose d'essentiel ! La vraie vie est ailleurs ! C'était sûr ! Rimbaud avait raison ! Nous rêvions d'autre chose, d'aventures, de voyages ! Cela aurait put être le cheval, l'alpinisme ou l'Afghanistan ! Ce fut le bateau, la voile et la mer ! Par pur hasard !"
C'est sans doute la folie qui fait la grandeur des plus beaux défis ! Celle des Meffre en est un bel exemple. Sans avoir jamais navigué, ni rien connaître à la voile, Georges et Michèle vendent subitement en 1978 leur entreprise nyonsaise, achète dans le port de Sète un cotre norvégien en bois de 11,50m (qui par la suite s'avérera un fameux bateau) et partent à la voile avec leurs deux enfants, direction l'Australie.
"Nous étions sans doute inconscients, mais nous n'avions pas peur ! Nous avons appris à naviguer en longeant la côte espagnole pendant 3 mois. La première traversée de l'Atlantique a duré 22 jours du cap Vert à la Martinique, ça laisse le temps d'apprendre à se servir d'un sextant ! Après Panama, la traversée du Pacifique dura presque un an avec des escales fabuleuses, des rencontres émouvantes et quelques belles frousses. Le bateau baptisé "Antares" était devenu notre entreprise, notre maison, l'école des enfants, le havre où nous accueillons nos amis et le véhicule qui nous faisait voyager. Nous sommes arrivés en Australie en 79. Nous n'avions plus d'argent et ne parlions pas un mot d'anglais".
Las. L'aventure sourit toujours aux audacieux ! En Australie Georges et Michèle deviennent successivement pécheurs de crevettes, manuvres, terrassiers, ouvriers paysagistes, contremaîtres et finalement architectes. "Au fur et à mesure que notre anglais s'améliorait, nous montions en grade Mais surtout notre richesse, ce fut le temps ! Notre nouveau mode de vie sur le voilier, basée sur l'économie et l'autonomie, nous a permis de découvrir les vraies valeurs du temps Le temps qui n'est pas de l'argent ! Le temps que l'on prend sans compter ! Le temps que l'on gagne à le prendre ! En moyenne et sur 25 ans nous avons travaillé 3 mois par an pour 9 mois de voyage ! Les enfants c'est pareil ! Ils étaient scolarisés trois mois à terre (en anglais) et 9 mois sur le bateau, avec nous, à prendre le temps d'apprendre !"
Une méthode qui en vaut une autre : Aujourd'hui Sébastien 33 ans est professeur de géologie, marié à une archéologue, tous deux font de la recherche en Australie, tandis que Lélia 30 ans est guide d'aventure trilingue actuellement au Mexique.
Leur premier tour du monde durera 7 ans ! 7 ans de bourlingue sur toutes les mers du globe, porté par les alizés et une furieuse envie de vivre ailleurs. Un premier livre, bourré d'humour et de souvenirs "Qui n'avait jamais navigué " est écrit en 1985. Il sera entièrement mis en page, fabriqué, relié chez des amis du couple à Mollans sur Ouvèze. Réédité deux fois, il est actuellement épuisé, une nouvelle édition est prévue en mars 2002 (1).
En 86 les voilà reparti, en famille et en bateau, pour de nouvelles aventures. La mer rouge d'abord, puis les 40ème rugissants, les Kerguelen et la Tasmanie où ils finissent par vendre leur bateau, construisent de leurs propres mains une maison et deviennent citoyen australien. En Australie, Georges et Michèle rencontrent "Antartica" le grand voilier de Jean Louis Etienne et l'amènent jusqu'à Osaka.
Retournant en France en 1992 pour la seconde fois en 15 ans, ils aménagent eux même une nouvelle coque de voilier dériveur intégral en aluminium de 12 m de long et repartent pour l'Afrique du Sud, puis les îles Faulkland, la Patagonie, le cap Horn et finalement l'Antarctique où ils passent un premier été complet.
Retournant en Patagonie et alors que leurs enfants ont grandi et volent désormais de leurs propres ailes, ils adoptent Oscar, un jeune orphelin chilien de 7 ans. Avec Oscar, ils retournent en 1996 passer un nouvel été en Antarctique, écrivent plusieurs livres (dont un de Michèle "Et vogue la cambuse" plein de recettes de cuisine et de conseils sur la vie à bord), font des photos, préparent des conférences, puis adoptent deux ans plus tard un autre jeune chilien de 6 ans Fabien.
La nouvelle famille continue son errance dans le Pacifique, vadrouille d'île en île, farniente entrecoupé de période de travail ou de charter. Leur bateau "Métapassion" est redevenu école, le repas du soir est souvent au bout de la ligne, de nouveaux amis sont toujours là, au prochain mouillage
Les années passent, les Meffre retournent en Tasmanie (toujours à la voile) où ils construisent, à nouveau eux-même entièrement, une extraordinaire maison écologique en forme d'escargot dans une petite vallée déserte près de Hobart
Enfin, après avoir vendu leur second bateau, heureux comme Ulysse, ils s'envolent pour la France où ils sont actuellement de passage pour quelques semaines dans leurs Baronnies natales. De retour à Nyons, ils ont tellement à raconter que le temps manque pour faire le tour de la famille et des amis. Les premières fois en 85 et 92 ils avaient organisé dans le sud de la Drôme des conférences avec projections de diapos qui avaient connu un gros succès.
Aujourd'hui ils vont présenter leurs livres et cassettes vidéo au Salon Nautique de la Porte de Versailles à Paris à coté d'Antoine, de Jean Louis Etienne ou de Jérôme Poncet Mais, lorsqu'on leur demande, quel est le plus beau coin de la terre qu'ils ont pu visiter, ils répondent sans hésiter: Les Baronnies, notre pays natal...!
Il n'est pourtant pas question pour ces " Marchands de rêve " de s'assagir ou de se sédentariser. A 52 et 54 ans, sans assurance sociale ni retraite mais incroyablement riche de souvenirs, Georges et Michelle Meffre, devenus récemment grands-parents, repartent ces jours-ci vers la Tasmanie avec Oscar et Fabien 14 et 11 ans.
Leurs projets sont déjà en route avec la construction là bas d'un nouveau voilier en aluminium dériveur intégral de 20m de long qui s'appellera " YAPADO ". La construction devrait leur prendre un an avant que nos deux drômois ne s'embarquent de nouveau vers de nautiques aventures. L'organisation de charter au large de la Tasmanie et des expéditions en Antarctique chaque année durant l'été australe sont au programme du futur " YAPADO " (2)
(1) Bibliographie des Meffre
:
Texte d' Alain Bosmans - Photos G. et M. Meffre |