Chaleur et émotions à Gomadingen

(Articles du Dauphiné Libéré des 8 et 9 juin 2000)

Textes et photos d'Alain Bosmans

Près de 200 buxois auront fait le déplacement à Gomadingen pour assister aux cérémonies officielles du jumelage de Buis avec le village du Jura Souabe allemand. Accueil chaleureux et émotions fraternelles les attendaient.

 

 

 

A Buis comme à Gomadingen on a décidé de réduire une fois pour toute à néant les 850 kilomètres et les 400 ans de malentendus qui séparaient les deux villages.

Initié voilà maintenant 5 ans par des amis des deux communes, et notamment par Annie Fischer et Yves Jaegly qui, devenus buxois avaient conservé de nombreuses relations amicales dans le Baden-Wurttenberg où ils avaient longuement résidés, renforcé depuis lors par de nombreux et fréquents échanges réciproques tant communaux que commerciaux, sportifs ou scolaires, encouragés par les deux municipalités, le processus de jumelage Franco-Allemand des communes de Buis les Baronnies et Gomadingen s'est définitivement concrétisé à l'issue de ce long week-end de l'Ascension.

Après que les cérémonies officielles se soient déroulées (on s'en souvient) à Buis les Baronnies l'année dernière à la même époque en présence d'une importance délégation allemande, c'était au tour de Gomadingen d'accueillir durant trois jours les quelques 170 à 190 buxois qui avaient décidé de réduire une fois pour toute à néant les 850 kilomètres et les 400 ans de malentendus qui séparaient leurs deux villages.Et ce coin de Jura Souabe allemand devait réserver à nos compatriotes un accueil magnifique à la hauteur de cette noble ambition. Car il s'agit bien de " noblesse " dans la démarche des deux communes qui pendant trois jours auront multiplié les symboles de compréhension et de tolérance, les gestes d'amitié et les actes de fraternité.

Le thème du jumelage lui-même, largement reproduit un peu partout dans la commune, sur les tee-shirts comme à la vitrine des commerçants, à la mairie, à l'école comme à l'église, disait tout en deux mots et dans les deux langues : " Miteinander - Vivre Ensemble ". Dés le jeudi de l'Ascension et tandis que le gros de la troupe buxoise était en route, une quinzaine d'enfants de l'école primaire du Buix (arrivés la veille en car en compagnie de leur Maire-instituteur J.P. Buix), étaient accueillis à l'école de Gomadingen par plusieurs dizaines d'écoliers de leur age pour une matinée d'ateliers de plein air. Pendant deux heures les gosses des deux villages s'appliquèrent ensemble à construire sur la pelouse de l'école, d'élégantes structures de bois, de toile et de ficelle. Ils se livrèrent ensemble (" zusammen ") aux même jeux et aux même bêtises, donnant la preuve subite et irrévocable d'une formidable évidence, à savoir que rien ne ressemble plus à un petit français qu'un petit allemand… Et ils étaient ainsi en train de résoudre tout seul un vieux problème… !

Dans l'après midi, convié au haras Central du Land de Marbach (l'un des plus importants et prestigieux haras d'Allemagne avec plus de 500 chevaux élevés pour les compétitions de dressage et de saut d'obstacles de notoriété internationale), les enfants de Buis furent invités à baptisés individuellement une dizaine de chevaux nés dans l'année. C'était la première fois qu'une telle procédure était utilisée en Allemagne et l'honneur était grand pour ces jeunes buxois de donner aux poulains et pouliches promis à un brillant avenir, des noms qui sentaient bon le terroir des Baronnies : Mistral, Mont Ventoux, Mimosa…

Le soir, toujours au Haras de Marbach, un repas de 320 couverts réunissait les invités français qui venaient d'arriver et leurs hôtes allemands. Bière et vins coulèrent à flots dans les mêmes gosiers et ce n'était là que la première des réjouissantes agapes qui s'étalèrent jusqu'au samedi soir selon un programme dont la rigueur de l'organisation le disputa à la chaleur des intentions. Car de chaleur il n'en manqua pas à Gomadingen pendant ces trois jours… Aussi inattendu que cela fut, un ciel d'azur, un soleil provençal et une chaleur tropicale régnèrent sans partage sur la fête. " Avec le jumelage, on partage tout, même le beau temps… " devait déclarer goguenard Jean Pierre Buix à son collègue allemand fort impressionné par les pouvoirs météorologiques du maire français…

Dés 11 heures le samedi matin, le thermomètre crevait la barre des trente degrés centigrade et nos buxois ne sentirent guère de dépaysement climatique pour installer au cœur du village entre l'église et la mairie un " Marché Commun " où les produits des Baronnies côtoyèrent toute la journée ceux des producteurs et artisans locaux. L'odeur des pâtisseries viennoises ne tarda pas à se mélanger aux effluves d'huiles d'olives, les charcuteries bavaroises se mêlèrent aux senteurs de lavande que l'ami Verlaine avait dispersées à profusion sur la chaussée. La bière coulait à flot et rejoignait le vin des Baronnies dans les mêmes gosiers tandis que Michel Cassoret faisait chanter son accordéon enveloppant le tout de mélopées sans frontières.

Déjà la veille au soir, il avait fait chaud sur le terrain de foot de Gomadingen. Cinq buts à quatre en faveur de l'équipe allemande, tel fut le score sur lequel les deux équipes quittèrent le terrain pour entreprendre en bordure de celui-ci une longue et joyeuse troisième mi-temps agrémentée d'appétissantes brochettes et des compétitions de bûcherons.

De la chaleur et de l'émotion il n'en manqua pas non plus lorsque le lendemain les enfants des deux écoles entreprirent de chanter ensemble les chansons de " L'autre ". Les jeunes allemands entonnèrent " Sur le pont d'Avignon " et les élèves de J.P. Buix reprirent " le chant des Retrouvailles ".

Emotion encore lorsque les deux maires plantèrent ensemble un tilleul sur le parvis de l'école de Gomadingen symbole de la pérennité d'une amitié naissante. Emotion toujours lorsque les enfants des deux pays s'appliquèrent à " signer " sur les toiles qu'ils avaient tendues la veille, des phrases affichant leurs désirs de fraternité.

Et que dire de l'émotion qui submergea les témoins de la rencontre de Simone Borel et de Gunther Fichtner se retrouvant à Gomadingen après 52 ans d'une longue séparation. Ils s'étaient connus dans les Baronnies en 1945 alors que Gunther prisonnier de guerre allemand en France, devenu travailleur volontaire à Montbrun les Bains, avait été employé à couper du bois jusqu'en 1948 dans les environs de la ferme Borel à Barret de Lioure. Simone avait alors 18 ans et Gunther 25… 52 ans plus tard, leurs retrouvailles sur le marché de Gomadingen dans le cadre de ce jumelage Franco-Allemand bouleversèrent nombre de leurs amis des deux nations…(lire également ci-dessous "le rendez-vous").

Chaleur et émotions enfin lors de la longue cérémonie du jumelage proprement dite qui se déroula le samedi en fin d'après midi et 4 heures durant dans la vaste salle des fêtes de Gomadingen devant plus de 500 personnes. Manfred Rommel, fils du fameux Maréchal allemand de la dernière guerre et personnalité politique de tout premier plan, avait tenu, malgré son grand age, à honorer de sa présence cette nouvelle manifestation symbolique de l'amitié franco-allemande. Du coté français, on notait la présence en famille du député de la Drôme Michel Grégoire.

La signature très solennelle en fin de soirée des serments du jumelage par les deux maires suivie des deux hymnes nationaux et du " chant des au revoirs " repris par la totalité des musiciens et chorales intervenants puis par la salle toute entière (pour les buxois, le groupe vocal féminin " Mona Lisa ", la chorale " Le plaisir de chanter ", les représentants des confréries du tilleul et de l'olivier étaient du voyage) mit un terme à des cérémonies qui brillèrent par la noblesse et la sincérité de leurs intentions.



Le Rendez-vous de Gomadingen

 


Les retrouvailles de l'an 2000 à Gomadingen, de gauche à droite: Simone Borel, Gunther Fichtner et Raphaël Borel.

Après 52 ans de séparation, un ancien prisonnier allemand de la dernière guerre et la fille de la ferme où il travaillait dans les Baronnies se retrouvent avec émotion à l'occasion d'un jumelage franco-allemand.

A Gomadingen ce matin là, il y avait du monde qui déambulait dans les rues du village du sud-Est de l'Allemagne transformées en " Marché Commun Provençalo-Souabe ". Les cérémonies de jumelage de Buis les Baronnies chef lieu de canton du sud de la Drôme avec ce modeste village germanique battaient leur plein depuis déjà 48 heures et les étales des producteurs et artisans des Baronnies côtoyaient celles des jumeaux du Bade-Wurttenberg avec fraternité.

Dans la foule il y avait cependant deux buxois pour qui ce jumelage revêtait une importance toute particulière et qui attendait cet instant depuis fort longtemps. Simone Borel, résidente buxoise native de Barret de Lioure et son frère Raphaël habitant d'Orange s'était joint aux cars français du jumelage et se rendait en Allemagne pour la première fois de leur vie. Pourtant des amis allemands, ils en avaient eu… Et depuis fort longtemps !

En 1945 Raphaël avait 7 ans et Simone 16. Dans la ferme de leurs parents Elie et Marie Rose Borel à Barret de Lioure, ils se souviennent tous les deux parfaitement des 4 prisonniers allemands qui venaient travailler comme bûcherons dans les environs et que l'on accueillait volontiers à la ferme le dimanche ou le soir à la veillée. Cinquante cinq ans plus tard, c'est avec l'un d'eux qu'ils ont rendez-vous aujourd'hui, sur le marché franco-allemand de Gomadingen au cœur de la cérémonie fraternelle.

Gunther Fichtner fut mobilisé dans la Whermarcht à 19 ans en 1938. Sept ans plus tard il est toujours sous l'uniforme lorsqu'en février 45, à 25 ans donc, il est fait prisonnier par les Américains à Koblentz. Remis à l'armée d'occupation française, transitant de camp en camp à travers toute la France, il finit par arriver dans un camp de prisonniers de guerre à Avignon. Là, on lui propose de retrouver une semi-liberté en allant travailler dans une exploitation forestière française, ce qu'il accepte aussitôt.


Gunther Fichtner en été 1947, prisonnier de guerre dans les Baronnies.

Avec trois autres compagnons d'infortune Gunther est envoyé au début de l'été 45 sur l'exploitation forestière d'Elie Veux à Montbrun les Bains. Il y restera 3 ans. Trois ans, à couper du bois et à partager la vie des ouvriers agricoles et paysans français du Séderonnais, jusqu'au printemps 1948 lorsque les accords franco-allemands de libération l'autorise à retourner chez lui où il se mariera, aura des enfants et deviendra professeur de collège technique. Que s'est-il exactement passé pendant ces trois années, entre 45 et 48, à la ferme de Barret de Lioure et dans les bois alentours entre Gunther Fichtner (qui y allait souvent et avec assiduité couper du bois) et la famille Borel (qui comptait alors plusieurs jolies filles à marier) ??? Inutile de le préciser ! Les ans ont passé et il y a évidemment prescription pour les délits d'amour…


Eté 1947 à Barret de Lioure, de droite à gauche : Simone Borel, Gunther Fichtner, Madeleine (cousine de Simone) et Oscar (autre prisonnier allemand dont on a perdu la trace).

Simone comme Gunther ont fondé depuis chacun de leur coté une famille. Mais ils n'ont jamais oublié ces trois années là et pendant 52 ans, sans jamais se revoir, ils n'auront jamais cessé de correspondre, de s'envoyer des nouvelles par lettres, ne serait-ce qu'une fois l'an à Noël. Aussi lorsque le projet de jumelage de Buis avec une commune allemande se précise, des deux cotés du Rhin, chez Gunther comme chez Simone, on envisage de se retrouver.

Le rendez-vous est pris pour ce week-end de l'Ascension sur le marché de Gomadingen au beau milieu de cette fête de jumelage. La belle occasion ! Gunther viendra avec son épouse de Bruchsal (entre Heidelberg et Karsrhue) et Simone sera accompagnée de son frère Raphaël. C'est peu de dire que les retrouvailles après 52 ans de séparation furent chargées d'émotion. Annie Fischer, alsacienne d'origine et présidente du comité de jumelage buxois, en avait les larmes aux yeux.

Gunther annonçait devant les photographes et journaliste des deux pays venus immortaliser l'instant, que ses souvenirs des Baronnies entre 45 et 48 étaient les plus heureux qu'il avait conservés de toute sa " P… de guerre " (sic en français dans le texte). Simone ravie, souriante et plus jeune que jamais constatait avec émotion que Gunther portait bien ses 80 ans et qu'il avait conservé sa chevelure abondante. " Il se souvient de tout ! Il m'a rappeler des souvenirs que j'avais complètement oublié et il parle encore très bien le français… "

Textes et photos d'Alain Bosmans