La crise du TILLEUL : C'était écrit...

(article du Dauphiné Libéré du    août 1998)
 

  




Commanditée par la région Rhône-Alpes, une étude sur « Le Tilleul » avait été menée par l’E.S.C. Lyon en août 1996. Un document dans lequel on pouvait déjà prévoir, 2 ans à l’avance, la crise qui a si durement secoué cet été la filière dans les Baronnies.

        Lorsqu’en août 1996 Anne Sophie Najda et Jean Marc Sarrailh, respectivement chef de projet et chargé de mission dans le cadre de l’E.S.C. Lyon Junior Conseil, remettaient leur rapport sur le marché du tilleul en France au Conseil Régional Rhône-Alpes, ils n’étaient probablement pas conscients du caractère hautement prophétique et prémonitoire de leur travail.

        Ce n’est pourtant pas faute d’avoir fait preuve d’une singulière clairvoyance en mettant en évidence la fragilité et la précarité de la position des producteurs de tilleul de la Drôme. Qu’on en juge : Dés l’introduction on peut y lire que « c’est un marché très atomisé et très éclaté, qui reste très peu organisé, ce qui entraîne de grandes difficultés de concertation des producteurs et qui les empêche d’avoir un poids important au sein du marché » (page 5). Plus loin les auteurs constatent que le producteur a « un pouvoir de négociation très faible par rapport au négociant. Les producteurs acceptent les prix pratiqués par les négociants qui sont souvent identiques pour toute la région » (page 12), ce qui amène le commentaire suivant : « Le tilleul français a des spécificités qui sont généralement très mal utilisées. Ce tilleul léger essaye de concurrencer le tilleul d'importation sur des segments qui ne lui sont pas favorables. Il n’y a donc pas de politique prédéfinie d’action et l'éclatement des producteurs empêche toute concertation. Les producteurs sont donc obligés de suivre la politique soit des négociants, soit des distributeurs » (page 17). Ou encore, page 28 : « Ils (les producteurs de tilleul) exploitent mal le potentiel de l’industrie, car ils n’ont pas de politique d'ensemble... Ils sont dans une position de faiblesse au regard de l’ensemble des autres concurrents. Les manœuvres stratégiques possibles sont nulles en raison de l'éclatement des producteurs. »

        Mais la pertinence dans l’analyse de la situation des producteurs n’est pas le seul élément qui retient l’attention du lecteur de ce rapport. Il y est en effet également rappeler (ce que l’on a dut certainement savoir un jour, mais que l’on a trop vite oublié), que la production française qui était de 350 tonnes par an en 1960 n’a depuis lors cessé de diminuer. Elle ne dépasse guère les 100 tonnes aujourd’hui, tandis que dans le même temps les importations (en provenance principalement de chine (60%) et d’Europe de l’Est ont constamment progressé pour atteindre les 476 tonnes en 1996. Il y est également rappelé que la production du tilleul en France s’effectue dans une région géographiquement bien délimitée. Les 100 tonnes de tilleul français proviennent en presque totalité des Baronnies, du Diois et du Vercors Drômois. La production est de type essentiellement familial, les zones de production sont éclatées entre différentes fermes qui produisent chacune de petites quantités. La cueillette, concomitante à celle des cerises et des abricots s’effectue le plus souvent en famille ou par des personnes âgées. Avec l’apparition récente dans ces régions de la monoproduction et la nécessité pour les exploitations de se spécialiser (multiplication des vergers d’abricots en particulier), il est désormais clair que de nos jours personne ne peut vivre seulement sur la production de tilleul et que sa cueillette ne peut être considérée que comme un revenu complémentaire.

        Encore faut-il que celui-ci soit suffisamment conséquent pour que les producteurs maintiennent leurs arbres en condition d’exploitation...! Car tout le problème est là désormais. Pour être productif, un arbre doit être entretenu, c’est à dire qu’il doit être taillé en couronne, afin d’augmenter la quantité de tilleul fourni et le ramassage. Or les arbres trop longtemps abandonnés grandissent de telle façon qu’il est totalement impossible de les tailler pour les rendre de nouveau productifs. On mesure mieux ainsi la gravité de la situation résultant de l’effondrement des cours constaté lors des différentes foires du Buis et de la région dans le courant de ce mois de juillet (1).

        Face à une telle menace que faut-il faire… ? Là encore le rapport des étudiants de l’E.S.C. de Lyon apporte quelques réponses en faisant certaines recommandations qui, sans être prises nécessairement comme des paroles d’évangiles, mériteraient au moins d’être sérieusement explorées.

        La première recommandation concerne la nécessaire labellisation du produit (« tilleul de France ou des Baronnies »… ?) qui permettrait aux producteurs locaux d’agir sur le marché en modifiant la donne concurrentielle en leur faveur. Il permettrait en particulier de marquer nettement les différences entre les produits français et les produits importés, interdisant (du fait de la protection juridique attachée au label) aux négociants et transformateurs de mélanger les différents tilleuls d’origine, de qualités et de prix très différents comme ils le font couramment actuellement. Permettant la traçabilité du produit, le label serait un bon moyen d’en préciser son origine et par là, la qualité que le consommateur est en droit d’attendre de celui-ci.

        La seconde recommandation se rapporte à la mise en place d’une politique promotionnelle dynamique. Celle-ci pourrait prendre diverses formes que le rapport ne fait que suggérer : Présenter le tilleul comme un produit proche de la lavande et lier la route de la lavande à la route du tilleul. Organiser des vendanges du tilleul, éditer des prospectus sur le tilleul, envisager des événements promotionnels plus spécifiquement destinés à un public touristique, étranger, demandeur de produits naturel ou bio en liaison éventuelle avec la Confrérie (2).

        Enfin le rapport recommande aux producteurs de se regrouper au sein d’une structure économique capable d’assurer une politique de développement et de commercialisation du tilleul. La coopérative est la forme conseillée pour assurer ce regroupement, « de préférence une coopérative déjà existante qui accepterait détendre son activité au tilleul. La mission de cette coopérative serait dans un premier temps d'acheter la production de tilleul aux exploitants en leur garantissant un prix intéressant. De plus, il sera nécessaire d'associer les producteurs afin qu’ils participent à une grande politique générale de développement de la qualité du tilleul, grâce au label. »

        Difficile de lire ces lignes sans penser à la coopérative de Montguers : « France Lavande », à ce qui s’est effectivement passé à la dernière foire au tilleul de l’été le 22 juillet à Villefrance le château (3) et du rôle que pourrait éventuellement jouer France Lavande à l’avenir dans l’organisation future de la fillière Tilleul… Quand on vous disait que ce rapport était prémonitoire…!

        Alain BOSMANS

(1) : On se rappelle qu’à la foire au tilleul de Buis le 1er juillet, les prix d’achat offert par les négociants de la région n’avaient pas dépassé les 45 francs le kilos, soit un manque à gagner de prés de 50% par rapport aux cours de l’année précédente. Un effondrement qui avait provoqué le vif mécontentement des producteurs et de leurs représentants qu’ils soient élus, syndicat et confrérie. Ces prix devaient pourtant être confirmés aux différentes foires du mois de juillet à Mollans sur Ouvèze le 6 juillet, Buis les baronnies à nouveau le 8 juillet où les négociants ne se déplacèrent même pas pour le retour de foire, et à Villefranche le Château le 22 juillet.

(2)  Se tenant depuis 190 ans à Buis les Baronnies, la traditionnelle foire au tilleul de cette ville est l’occasion de cérémonies folkloriques hautes en couleurs. La Confrérie des Chevaliers du Tilleul des Baronnies y tient son chapitre annuel en intronisant chaque année de nouveaux membres qui sont appelés à boire le verre de Castillou et à prononcer le fameux serment en tunique verdoyante et feutre noir du berger Provençal. Le désarroi et la colère des producteurs consécutifs à l’effondrement des cours à convaincu son grand maître Laurent Haro d’ajourner la cérémonie cette année.

(3)  A Villefranche « France Lavande » a garanti pour cette année un prix minimum de 57 francs le kilo en échange d’une fidélité dans les apports d’au moins cinq ans. Nombreux sont les producteurs qui auront en cette occasion adhéré à la coopérative de Montguers dont le tonnage d’apport de tilleul s’est vu subitement multiplié par 6 pour atteindre les 15 tonnes cette année.