Tilleul amer
(article du Dauphiné Libéré du 2 juillet 1998)

BUIS-LES-BARONNIES

    Célébré depuis 190 ans, la traditionnelle foire au tilleul des Baronnies a été gâchée cette année par un effondrement des cours. Les agriculteurs de la région, déjà victimes du gel des cerises et abricots, ont exprimé leurs désarrois et mécontentement en refusant pour la plupart de « brader » leur production de tilleul. La confrérie a emboîté le pas en annulant par solidarité la tenue de son chapitre.

    La fête promettait pourtant d’être belle. De tous les villages alentours, ils étaient nombreux à s’être levé de bonne heure afin d’apporter le fruit de la récolte de tilleul de l’année à la foire de Buis. Sur la digue, en bordure de l’Ouvèze, à l’ombre protectrice des platanes centenaires, plus de 200 producteurs totalisant une somme d’apports que l’on pouvait estimer à prés de 12 tonnes (ce qui en faisait une des plus grosse foire de ces 15 dernières années), étaient déjà en place dés 7 heures. Les «bourrasses », ces grandes trousses en toiles de jutes liées aux quatre angles dans lesquelles on entasse les fleurs de tilleul séchées, étaient soigneusement alignées tandis qu’en contrebas les camions des trois grossistes attendaient l’heure de la pesée toujours effectuée de la façon la plus traditionnelle à l’aide de balances romaines. Une odeur d’infusion entêtante et sucrée flottait sur la bourgade envahie par de nombreux photographes et cameramen, amateurs ou professionnels, à la recherche du cliché inédit. Pour couronner le tout, une équipe de la télévision publique japonaise N.H.K. qui avait fait le déplacement de Tokyo pour couvrir l’événement, ne passait pas inaperçue.

    Pourtant, dés le lever du jour, les nouvelles qui circulaient entre producteurs n’étaient pas bonnes. Les cours pratiqués la veille à Vaison avaient été très bas disait-on, inférieurs à 50 francs… Mais peu voulait y croire. On se rassurait en se souvenant que l’année passée les transactions s’étaient établies entre 70 et 80 francs, ce qui sans être brillant, avait été jugé raisonnable. Il est vrai aussi que l’année passée la production avait été particulièrement faible avec des apports qui n’avaient guère dépassé les 3 tonnes... De leur coté les acheteurs prenaient leurs temps, ce qui n’était pas bon signe… ! Et ce n’est que vers les 9 heures qu’ils commencèrent à sortir leurs calepins pour aller « tâter » la marchandise et annoncer la couleur. C’est peu de dire que les agriculteurs des Baronnies furent déçus… !

    De 40 à 45 francs fut la fourchette de prix d’achat proposée, avec des lots qui descendirent à 35 francs, aucune transaction ne dépassant les 50 francs. Colère, déception, désarrois, les producteurs ne trouvaient plus les mots pour dénoncer le scandale de ce marché qui divisent par deux leurs revenus d’une année sur l’autre. On les comprendra mieux en sachant qu’un arbre de taille moyenne produit 10 kg de fleurs séchées pour 18 à 20 heures de cueillette, étant entendu qu’il faut 4 kg de tilleul frais pour obtenir 1 kg de tilleul dont les fleurs auront séché à l’abri de la lumière de 4 à 7 jours. Le calcul est simple : à 40 francs, le kilo ne rapporte plus que 20 francs de l’heure et à ce tarif on perd ce que l’on veut à le ramasser, mieux vaut le laisser sur l’arbre ! La plupart refusèrent net toute transaction sur ces bases, ajoutant « qu’à ce prix, ils préféraient le brûler et les camions avec si on insistait… ! »

    En face d’une telle situation, le premier à réagir fut le maire, Jean Pierre Buix. Devant les bureaux de l’office du tourisme, tandis que l’on remettait la « Bourrasse d’or » à Stephan Joly de Mérindol les Oliviers, il dénonçait, non sans virulence, « ceux qui tuent l'agriculture de notre région en s'en mettant plein les poches ! », et suggérait, « afin que le folklore ne cache pas la détresse économique », que les cérémonies du Chapitre de la Confrérie de Chevaliers du Tilleul soient ajournées. En compagnie du député Michel Grégoire qui s’était joint à son appel, le maire de Buis invitait les producteurs de tilleul à se réunir incessamment pour une manifestation informelle en lieu et place des cérémonies folkloriques.

    Là, dans les jardins de la mairie, devant un public nombreux d’agriculteurs et en présence de nombreuses personnalités politiques départementales parmi lesquelles les sénateurs Besson et Piras, Laurent Haro, Grand Maître de la confrérie de chevaliers du tilleul des baronnies confirmait l’ajournement du chapitre et la totale solidarité de son association avec les producteurs de tilleul en difficultés. La présidente du syndicat de producteurs, Mireille Lesbros, suivi de Michel Grégoire qui devait parler de « l'affront fait aux paysans des Baronnies », invitait les agriculteurs à la mobilisation et annonçait la tenue d’une « réunion de crise » vendredi prochain à la salle du foyer J.J.Coupon à 09h30 à laquelle toutes les personnes concernées sont priées de se rendre.

    Après avoir regretté que la gendarmerie ait malencontreusement verbalisé les véhicules des producteurs mal garés pendant la foire et s’être engagé à faire retirer tous ces procès verbaux, Jean Pierre Buix invitait l’auditoire à venir partager un apéritif qu’il n’était, fort heureusement, pas question d’ajourné ! L’occasion pour chacun de revenir, une fois de plus, sur l’indigence ( et l’indécence !) de ces cours qui auront bien gâché la fête.
 

Alain Bosmans