Le tilleul des Baronnies en thèse
 
 
(Article du Dauphiné Libéré du 20 octobre 1999)
 
 Lionel Gervasoni : « Il n’y avait, à mes yeux, pas de meilleur sujet de thèse… »
 
 
C’est tout naturellement que Lionel Gervasoni, l’enfant du pays de Buis, a choisi le Tilleul comme sujet de la thèse qu’il a soutenue avec brio la semaine dernière à Grenoble pour l’obtention de son doctorat en pharmacie. Une thèse qui aujourd’hui fait référence sur le sujet et ne devrait pas passer inaperçu dans la région.

        Lundi 11 octobre, dans le cadre de la faculté de pharmacie de l’université Joseph Fourier de Grenoble, le jeune Buxois Lionel Gervasoni a soutenu une thèse de doctorat en pharmacie (diplôme d’état) portant sur « La fleur de Tilleul, richesse des baronnies ». Le jury était constitué du professeur Anne Marie Mariotte, du professeur Patrick Ravanel et de Pierre Bernard, pharmacien au Buis. Lionel Gervasoni a non seulement obtenu ce jour là son doctorat mais sa thèse a reçu la mention « très honorable » pour l’excellence de son travail. Aujourd’hui, à 25 ans, Lionel Gervasoni est pharmacien et nul n’est surpris ici, ni du sujet, ni de la qualité de cette thèse qui couronne l’obtention de son diplôme.

        L’expression « être tombé dedans quand il était petit » est devenue tellement courante et usée par tant de plumitifs de la chronique (à commencer par moi-même) que j’hésite à l’utiliser encore aujourd’hui pour le tilleul et Lionel Gervasoni. Pourtant en l’occurrence, la comparaison va comme un gant à ce natif de Buis les Baronnies…! Il le dit d’ailleurs lui-même dans l’introduction à son étude : « Les printemps de mon enfance se passèrent le plus naturellement du monde, sous les tilleuls en train d’observer les précieux exemples de ramasseurs de la fleur de tilleul qui n’étaient autre que mes parents et grands-parents…. La passion était en train de naître. »

        A l’adolescence et jusqu’à cette année encore, le futur pharmacien ne manquera jamais une saison, de la mi juin à la mi juillet, pour aller ramasser du tilleul chez les uns ou chez les autres (ne serait-ce que pour arrondir le modeste pécule d’un étudiant désargenté), en compagnie d’une bande de copains inséparables, Sébastien Bernard, Cédric Tourniaire, Fabien Mamelonet, Vincent Dromel…

        La thèse que l’on peut dés aujourd’hui consulter à la Maison des Arômes du Buis constitue probablement la base de données la plus complète et la plus à jour traitant du tilleul sous tous ses aspects. Présentée dans le cadre d’une faculté de pharmacie, elle étudie évidemment et abondamment des questions se rapportant à ce domaine : Etudes botaniques, études des maladies du tilleul, de la chimie du tilleul, de sa pharmacologie et de ses usages, mais aussi (et c’est ce qui fera tout son intérêt pour un plus vaste public), de la récolte, production et commercialisation du tilleul des Baronnies.

        Utilisant une documentation très précise et récente, Lionel Gervasoni traite dans le détail des conditions météorologiques, des infrastructures, des populations cueilleuses, du matériel utilisé et du savoir faire liés à cette production ancestral symbole d’une région. Surtout, dans une sixième et dernière partie, Lionel Gervasoni traite minutieusement du commerce du tilleul dans les Baronnies depuis le début du 19ème siècle jusqu’à la dernière foire du Buis de cette année. Un bilan d’une grande pertinence qui débouche sur un triste constat et sur quelques recommandations.

        Le constat c’est celui du déclin du tilleul des Baronnies dont la production passe de 400 tonnes en 1970 à moins de 100 tonnes en 99 vendu autour de 40 francs le kilo cette année (prix jugé dérisoire en rapport du labeur que demande cette cueillette). Le constat c’est la comparaison (chiffre à l’appui) des prix actuels du tilleul en fonction de la provenance. Un tableau comparatif qui démontre clairement qu’il est impossible aujourd’hui de rivaliser avec le tilleul de Chine acheté 15 F. le kilos. Le constat c’est la démonstration sans concession du processus qui « amène les grands groupes industriels à abuser du consommateur en réalisant des mélanges de broyage avec des fleurs d’importation et en s’appuyant sur la renommée du tilleul des Baronnies pour les revendre avec des profits énormes que le producteur ne percevra jamais. »

        N’hésitant pas à parler « d’usage industriel détourné » et de « falsification », Lionel Gervasoni recommande « la mise en place d’une réglementation plus stricte sur la composition des broyats pour sachet-doses, le développement de nouveaux débouchés pour le tilleul (boisson grand public) et enfin le regroupement nécessaire des producteurs au sein d’une coopérative dynamique capable d’actions communes et de soutenir les prix ».

        Une conclusion sans grande illusion ne retire rien à un ouvrage qui passionnera tous ceux qui sont attachés autant au passé qu’à l’avenir des Baronnies.

         Alain Bosmans