Un hussard de l’humanitaire sur le toit des Baronnies.

« Le Dauphiné Libéré » du 29/11/97


François Grunewald dans son repaire baronniard


Sur les contreforts du Mont Ventoux, en plein cœur des Baronnies du Sud, une ferme insolite aux murs chargés d’histoire a trouvé son maître. Le décor et le personnage, l’un comme l’autre hors du commun, ne sont pas sans évoquer l’œuvre du grand romancier Provençal.
 

    Le mas en question s’appelle « La Fontaine des Marins », mais n’allez pas chercher de marins dans cette histoire et à cet endroit. Cette vaste demeure accroché à 820 mètres d’altitude, entre Buis les Baronnies et Montbrun les Bains, au bout d’un chemin sinueux, rocailleux qui ne mène nulle part ailleurs, doit son nom à la famille « Marins » qui l’occupa pendant prés d’un siècle comme en témoigne l’inscription de leur nom sur le monument aux morts de la commune. Une fontaine sans marin donc, dans un décor tel que Jean Giono aimait y situer les personnages et actions de son œuvre romanesque : Une ancienne bergerie transformée en ferme avec des murs épais de pierres grises, des tuiles ocres sous une lumière éclatante et un isolement superbe et total face à l’imposante silhouette du Ventoux. Un cadre baroque et rustique qui fut précisément le témoin au siècle dernier d’un épisode historique que l’on croirait directement tiré du plus célèbre roman de l’écrivain de Manosque.

    Qu’on en juge : Au début du 19 éme siècle, l’épidémie de choléra fait rage dans tout le sud de la France. Les habitants de Brantes, situés dans le creux de la vallée du Toulourenc quittent leur village pour se réfugier sur les hauteurs, pensant y trouver un air moins corrompu. Escaladant le col d’Aiguières, ils finissent par se réfugier dans ce qui n’est alors qu’une bergerie située à coté d’une source sur le haut de Plaisians. Dans leurs bagages ils emportent tout naturellement le centre de la vie communautaire d’alors : le four à pain du village. La tradition orale raconte qu’il fallut 7 grosses charrettes à bœufs munies d’énormes roues pleines pour transporter la totalité des pierres de l’imposant four. Le choléra parti, les Brantois, impatients de retrouver leur village du Toulourenc, renoncèrent à ramener ce four si encombrant. Ils le laissèrent donc dans la bergerie de Plaisians (dont les « Marins » feront ultérieurement une ferme) et où on peut encore le voir aujourd’hui ; outil communautaire insolite dans un lieu si isolé, stigmate anachronique de la terrible épidémie qui servit de trame au plus célèbre des romans de Jean Giono : « Le hussard sur le toit ».

    Laissée à l’abandon quelques années, la ferme vient d’être rachetée par François Grunewald, un personnage étonnant dont la jeune existence (il n’a pas encore quarante ans), évoque précisément, transposée à notre époque, la figure emblématique du héros littéraire. François, (le nouveau propriétaire), à l’instar d’Angelo, (le personnage du roman, témoin et acteur du désastre sanitaire qui ravagea la Provence au début du 19 éme siècle), traverse cette fin de millénaire au milieu des pires tragédies que notre monde engendre. Il est soldat de l’humanitaire, « Hussard » moderne des organisations internationales, il va là où le malheur frappe, pour aider, secourir, sauver (ou simplement témoigner) des victimes innocentes dans un monde qui n’en manque pas.

    Après des études universitaires d'agronome à Paris, François Grunewald se dirige aussitôt vers des missions d’aide au développement agricole dans le tiers monde. En Afrique tout d’abord où il fait ses armes avec plusieurs O.N.G. à vocation humanitaire, puis dans le Sud Est Asiatique, il entre en contact avec les Nations Unies au plus fort de la crise des camps de réfugiés Cambodgiens et des boat-peoples Vietnamiens. Il y restera 10 ans, s’immergeant totalement dans les pays de la zone, parlant couramment le Laotiens et le Cambodgiens, il devient l’un des tout premiers spécialistes internationaux de la gestion du rapatriement des populations déplacées. Délégué par le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unis (le H.C.R. de New York), en liaison avec la Croix Rouge Internationale (le C.I.C.R. de Genève), il travaille en étroite collaboration avec Perez de Cuellar, le secrétaire général de l’O.N.U de l’époque. Dés lors François Grunewald est sur tous les fronts. Sollicité d’intervenir dans les missions les plus difficiles, responsable d’actions humanitaires d’urgence, il promène sa haute silhouette dégingandé et son regard aigu emprunt de gravité et de mélancolie sur tous les champs de batailles d’une histoire contemporaine qui rivalise d’horreur. Somalie, Angola, Ruanda, Yougoslavie, Afghanistan... ! Ses déplacements racontent, comme une litanie, la douleur et la mort qui rongent notre planète.

    Au début de l’année 96, tandis qu’il est de retour d’un séjour particulièrement éprouvant et dangereux en Yougoslavie, François, accompagné de sa compagne Amalia (elle même infirmière, d’origine Argentine, domiciliée en Suisse), est à la recherche d’un port d’attache, un endroit où déposer des valises de souvenirs devenues trop lourdes à porter. « La Fontaine des Marins » est visitée au hasard d’une balade en VTT, alors que l’adaptation cinématographique du « Hussard sur le toit » est sur tous les écrans. François relit le roman de Giono et décide immédiatement d’acheter la ferme de Plaisians. « Un coup de tête ou un tour du destin » confesse-t-il avec ingénuité !

    Depuis, la vaste demeure a été transformée en bureau d’où, grâce à Internet et aux nouveaux moyens de communication, ce consultant indépendant reste en contact avec les gouvernements et organismes internationaux du monde entier. Plusieurs chambres joliment décorées d’objets exotiques ramenés des quatre coins de la planète sont à la disposition d’amis ou de collègues venus pour le plaisir ou à l’occasion de rencontres thématiques de réflexion entre professionnels de l’aide humanitaire. C’est ainsi notamment qu’a été conçu et rédigé le livre « Entre urgence et développement », une œuvre collective à laquelle a participé une vingtaine de spécialistes de l’assistance dans le tiers monde, réunis récemment à Plaisians autour de François Grunewald.

    Lorsqu’on demande à ce grand voyageur pourquoi avoir choisi « La Fontaine des Marins », pourquoi Plaisians, pourquoi les Baronnies, François parle « de son goût pour l’âpreté et la rudesse rocheuse d’un pays de montagnes à laquelle se mêlent la douceur des alpages verdoyants et le mauve exubérant des champs de lavandes »; il parle avec enthousiasme « de la lumière magique et changeante de ce pays », de « la dimension grandiose du panorama et de l’accueil chaleureux de ses habitants ». Soit ! Mais avant toute chose, ce qu’il vous invitera à visiter chez lui, c’est l’énorme four à pain de Brantes, transporté par ses habitants lors de la grande épidémie du siècle dernier... Au temps du choléra et du « Hussard sur le toit »... !

    A qui fera-t-on croire qu’une rencontre de ce type est le fruit du hasard... ? Et que le destin ne s’ingénie pas, parfois, à réserver aux lieux les plus chargés d’histoire et de passion, des habitants à leur mesure...

        Alain BOSMANS