Oh! Gendarmes bien aimés...!
 
(article du Dauphiné Libéré du 12 mai 98)
 

30 ans après mai 68, Séderon connaît une mobilisation sans précédent de la population et des élus locaux pour dire non à toute fermeture de la gendarmerie dans le canton.

    Séderon, chef lieu du canton du même nom, avait revêtu hier après midi des allures de colère et de contestation qui contrastaient singulièrement avec l’apparence si calme et paisible de ce modeste village de 250 habitants à la pointe sud-est du département. On connaît l’affaire. Les deux principales communes du canton, Montbrun et Séderon, possèdent chacune une brigade composée de 6 gendarmes hébergés dans des casernes dont la vétusté requiert aujourd’hui pour chacune une sérieuse rénovation. Le coût de ce double investissement, ajouté à la diminution supposée des besoins de surveillance du fait du démantèlement du plateau d’Albion ont convaincu l’administration de la nécessité de « redéployer » les forces de gendarmerie du canton. En apprenant que le maire de Montbrun avait obtenu du ministère des armées le feu vert pour la construction d’une nouvelle caserne, on a bien vite compris à Séderon que le « redéploiement » risquait de signifier la fermeture pure et simple de la leur.

    C’est pour éviter cette fermeture dont la perspective est ici jugée à la fois imminente et catastrophique que près de 300 personnes se sont réunis à 14 heures lundi dans les rues de Séderon, les 18 maires du canton ou leurs représentants en tête de cette manifestation sans précédent. Jean Mouton président du Conseil Général et Hervé Mariton au nom du Conseil Régional avait tenu par leur présence à s’associer à ce mouvement tandis que l’on regrettait l’absence du député Michel Grégoire, du sénateur jean Besson et du Conseiller régional Michel Cossantelli qui n’ayant put se libérer s’étaient fait excuser. Le maire de Izon-la-Bruisse quant à lui n’aurait pour rien au monde voulut se faire remplacer : Avec la vaillance de ses 90 ans, dont 67 comme maire de sa commune, Lucien Samuel, le plus ancien des maires de France et peut-être d’Europe, celui que l’on considère ici comme le sage du canton, déclarait à qui voulait l’entendre qu’il était là pour défendre le bon sens.

    Au cour de la réunion qui suivit, le docteur Christian Beaume, maire de Séderon, devait rappeler avec beaucoup de fermeté l’argumentation qu’il oppose à la perspective « scandaleuse » de fermeture de la caserne du chef lieu de canton. « On en a ras le bol ! A force de nous déshabiller, cela devient indécent ! On a déjà fermé des écoles, des agences postales, les services d'urgences des hôpitaux mitoyens sont menacés et aujourd’hui c’est la gendarmerie que l’on veut nous retirer ». Le docteur Beaume rappelle que Séderon est chef lieu de canton avec une présence de gendarmes depuis 1800 et que sa position géographique au carrefour de 3 vallées desservant 13 communes justifie l’impérieuse nécessité de cette présence. Longuement applaudi, le maire de Séderon s’est dit prêt à tout pour défendre sa brigade. « Tout, cela signifie que si vendredi, après la visite du lieutenant colonel Hurtevent, commandant le groupement de gendarmerie de la Drôme, on nous confirme cette suppression, c’est le conseil municipal de Séderon tout entier qui démissionnera, et si c’est nécessaire, nous envisagerons un boycotte des élections sénatoriales de septembre ».

    Hervé Mariton devait pour sa part conseiller d’éviter les rivalités entre Montbrun et Séderon, confirmant que c’était bien pour la rénovation des deux casernes qu’il fallait se battre et que l’administration devrait être en mesure de trouver une solution alternative à la suppression de l’une d’elle. Une diminution d’effectif dans chacune a été suggérée. Le président du Conseil Général, Jean Mouton, pris la parole pour affirmer l’importance que l’assemblée départementale porte à l’aménagement territoriale dans l’arrière pays Drômois et manifester son opposition à la suppression de la gendarmerie de Séderon « qui serait ressentie très durement dans les 18 communes du canton ». Il insista sur les conséquences au niveau de la sécurité et le développement prévisible de la délinquance dans des territoires qui seraient ainsi dépourvus ou éloignés de toute surveillance. « Les gendarmes font partit du paysage du monde rural » devait-il affirmer avant d’informer l’assistance qu’il saisira dés demain le ministre de la défense d’une proposition visant à ce que « le Conseil Général se substitue au rôle de l’état, en prenant à sa charge dans le cadre de ses règlements départementaux (avec la participation traditionnelle de l'Etat) la construction de la caserne de gendarmerie de Séderon ». Un entretient au ministère en présence des maires de Séderon et Montbrun sera sollicité à cet effet dans les jours qui viennent.

    Au nom du maire de Montbrun qui, retenu à Paris, n’avait put venir en personne, Mme Morelli, 1ère adjointe, devait fustiger toutes idées de polémique entre les deux équipes communales et confirmer la totale solidarité de Montbrun dans le combat du chef lieu pour le maintient de sa brigade.

    Réconforté par l’importance de la mobilisation et par la détermination de ses représentants, les habitants du Séderonnais semblaient hier reprendre espoir. Au sortir de la réunion, l’un d’eux se prenait même à plaisanter en constatant que 30 ans après mai 68, la gendarmerie était devenue si populaire qu’il faille descendre dans la rue pour en maintenir la présence dans le sud de la Drôme !

        Alain BOSMANS