"POETE, PRENDS TON LUTH..."
« Le Dauphiné Libéré » du 23/07/97
 
 
 
 

 Venu d'Australie et installé à Mollans depuis 20 ans, Stephen Murphy a acquis une renommée internationale dans le domaine de la Lutherie Ancienne.
 

    Mollans abrite dans ses murs une industrie exceptionnelle: La fabrication de Luths. Dés 1977, les villageois, touristes ou visiteurs de la partie Médiévale du village pouvaient apercevoir le spectacle anachronique de ces coques que l'on admirait au travers des fenêtres de l'atelier de Stephen Murphy alors situé rue du Bary dans le quartier des remparts. Mais depuis le début de cette décennie, on s'étonne à regret de la fermeture de l'atelier et l'on s'inquiète de savoir où est donc passé celui dont le travail était l'une des curiosités du village..? Rassurons les, il n'est pas allé bien loin...! C'est à "La Vouronnade", dans la ferme de Michel Gambus, à la sortie de Mollans, sur la route d'Entrechaux que Steve et Miranda Murphy se sont installés en 1991 pour poursuivre leur bel ouvrage. Etrange parcours assurément que celui de ces deux Mollanais là !

    Steve est né à Sydney en Australie où il acquiert une formation d'architecte et où, il tombera littéralement amoureux, nous dit-il, de la sonorité des instruments de musique anciens. Poursuivant sa passion il se rend en Angleterre afin d'apprendre les bases et techniques de la Lutherie. C'est également à Londres qu'il rencontre Miranda, alors jeune Anglaise étudiante en lettres Françaises. De Sydney à Londres en passant par Montpellier comment se retrouve-t-on à Mollans, avec trois enfants, à fabriquer pendant 20 ans des Luths que l'on expédie dans le monde entier...? Il y faut sans doute un peu de hasard et quelques nécessités, mais surtout un goût immodéré pour les belles choses, le travail bien fait et les endroits où "tout est calme, luxe et volupté...". Car les instruments produits par le Luthier de Mollans sont des objets exceptionnellement précieux.

    Le terme de Luthier recouvre habituellement tous fabricants d'instruments de musique à cordes, le plus souvent des guitares ou violons contemporains. Steve Murphy lui, s'est spécialisé exclusivement dans la fabrication de Luths, théorbes ou guitares anciennes. En France les Luthiers qui ont choisis cette spécialité se comptent sur les doigts d'une seule main et le nombre de musiciens Luthistes est de quelques centaines. Le Luth est pourtant l'un des plus anciens instruments de musique que l'on retrouve dans tous les pays depuis la plus haute antiquité. En Europe il est introduit à partir du 11 éme siècle par les invasions arabes. Au 16 éme siècle le Luth, qui n'a alors que 6 ou 8 cordes doubles (appelés "cœurs"), est l'instrument le plus répandu et le plus populaire. C'est l'instrument favori des ménestrels, troubadours et trouvères de la Renaissance. Malheureusement dés le début du 17 éme siècle, la rivalité avec le clavecin et le violon entraîne le Luth vers son déclin. Il faudra attendre la seconde moitié du 20 éme siècle pour que l'on retrouve la délicatesse incomparable de la sonorité du Luth.

    La qualité d'un luth dépend avant tout de la valeur des bois utilisés pour sa fabrication. La caisse de résonance en forme de demi-poire est composée de fins fuseaux de bois d'érable de couleur opposée. La table d'harmonie est toujours en épicéa provenant d'arbre d'altitude et anciens (plus de 1000 mètres et plus 200 ans); elle sera ornementée d'une délicate rosace finement sculptée au "scalpel" qui personnifiera l’œuvre du luthier de manière inimitable. Un manche minutieusement galbé et plaqué d’ébène et un cheviller compléteront l'assemblage d'une rare précision. Le nombre de cordes varie sensiblement (de 6 à 14 cœurs) selon le modèle et la période d'origine (médiévale, renaissance ou baroque). Lorsque l'on prend un luth pour la première fois dans ses mains, le plus surprenant est son incroyable légèreté qui est le résultat de la finesse et minceur des matériaux utilisés (la table d'harmonie ne fait guère plus d'un millimètre d'épaisseur et un luth est fréquemment moitié moins lourd qu'une guitare de même dimension). C'est précisément cette conception légère et en même temps rigide (puisque devant s'opposer à la tension de plusieurs dizaines de kilos des cordes) qui présente la plus grande difficulté et dans laquelle réside le principal "secret" des meilleurs Luthiers.

    Et il ne fait pas de doute que les luths qui sont produits aujourd'hui par Stephen Murphy à Mollans sont parmi les plus prestigieux que l'on puisse trouver au monde. Son catalogue comporte 33 modèles différents dont les prix unitaires varient entre 15 et 40.000 francs. Travaillant seul, il en produit en moyenne un par mois et son carnet de commandes est rempli une année à l'avance. Ses clients sont principalement en France et en Europe, mais également aux Etats Unis où il doit se rendre occasionnellement pour rencontrer des musiciens et même jusqu'au Japon vers lequel plusieurs commandes furent récemment expédiées de Mollans.

    Il faut dire que depuis quelques décennies, un peu partout dans le monde, on redécouvre les instruments de musique anciens et les sonorités délicates et subtiles du Luth font l'objet d'un véritable engouement chez de jeunes musiciens de plus en plus nombreux. Sur la carte géographique que consulte ces amateurs là, Mollans y est signalé en bonne place avec un petit drapeau... Australien !

(et depuis peu avec un site : http://perso.club-internet.fr/smurphy)

      Alain BOSMANS