Un désastre dans les vergers

(Article du Dauphiné Libéré du 24 avril 1998)
 
 

Il aura suffit d’une nuit de glace pour anéantir la totalité de la récolte d’abricots et de cerises de toute une région.

    Le début du mois d’avril est la période de tous les dangers pour les cultures fruitières de la Drôme Provençale. Les cerisiers sont en fleurs, les abricots et les prunes sont déjà formés, de la taille d’une olive sur les branches, et l’hiver n’a cependant pas encore dit son dernier mot. Les agriculteurs de cette région le savent bien et ils viennent d’en avoir la douloureuse confirmation…

    Dans la nuit du lundi 13 au mardi 14 avril, alors que l’hiver avait été jusque là particulièrement doux et que la floraison des vergers était plutôt en avance, un coup de gel d’une particulière ampleur s’est abattu sur le sud de la Drôme, causant d’irrémédiables dommages à tous les arbres fruitiers. Après une dizaine de jours d’un temps doux et maussade, le thermomètre est brusquement descendu cette nuit là entre moins 5 et moins 7, quel que soit l’altitude, pendant 6 à 8 heures d’affilées. Toutes les précautions que les producteurs mettent habituellement en œuvre en pareilles circonstances se révélèrent alors totalement inutiles. Que ce soit les chaufferettes à gas-oil, les bougies à paraffine, où la ventilation par éolienne, rien ne permit cette nuit là d’éviter que le froid, si mordant et surtout persistant si longtemps, ne viennent interrompre le cycle de maturation des fruits dont l’alimentation en sève est alors bloquée par le gel.

    Les dégâts, pour ce qui concerne le Nyonsais et les Baronnies sont considérables. Les vergers qui recouvrent dans cette région quelques 2500 hectares et 1,2 million de pieds, produisant bon an mal an 30 000 tonnes de fruits commercialisés, sont sinistrés en quasi-totalité. L’orangé de Provence, qui est la variété d’abricot essentiellement cultivée dans cette région, a été particulièrement touché puisque l’on estime que la totalité de la récolte est perdue pour l’année. « On n’en aura même pas assez pour faire de la confiture ! » déclare Francis Jacquet dont les abricotiers de La Roche sur le Buis qui s’étagent sur 6 hectares entre 400 et 800 mètres d’altitude ont été complètement foudroyés par le gel.

    La situation n’est guère plus brillante pour la cerise dont Michel Morard, producteur de fruits à Savoillan, estime la perte sur récolte à 90 ou 95 pour cent : « Cela ne vaudra sans doute pas la peine d"y mettre une échelle… » ajoute-t-il désabusé. Quant à Joël Bonfils, il confirme le désastre qui a touché la vingtaine d’hectares de verger qu’il entretient à Vercoiran sur les bords de l’Ouvèze. Rien, pas même la puissante éolienne qu’il avait cru bon d’installer au milieu des abricotiers voilà 2 ans afin de brasser l’air et de gagner quelques degrés, n’a permis d’éviter la catastrophe. « On sauvera 70 ou 80 pour cent de la récolte de prunes, qui ne représente de toutes façons pas grand chose en terme de tonnage et de revenus, mais pour les abricots et les cerises, tout est perdu ! » confirme-t-il non sans amertume. Pour la vigne ou le tilleul, cette nuit de gel pourrait également avoir des conséquences, mais il est encore trop tôt pour en connaître l’étendue.

    Il faut remonter à 23 ans, en 1975 pour voir de pareils dégâts, encore que chacun s’accorde pour dire que, cette année là, les zones sinistrées étaient plus réduites et l’étendue des dommages plus localisée. Nombreux sont ceux qui prétendent aujourd’hui que, de mémoire de Baronniard, on n’avait jamais vu cela… ! Un désastre qui touche de plein fouet, non seulement les producteurs de fruits, mais également toute une population de main d’œuvre saisonnière qui attend la période des récoltes pour travailler. Que ce soit à la cueillette ou au conditionnement, que ce soit au transport ou à la fabrication d’emballage, au courtage, à la commercialisation ou à la vente, c’est toute une filière qui est frappé. Un sinistre qui aura inévitablement des répercussions importantes sur l’économie régionale.

    Les agriculteurs, quant à eux, espèrent que les pouvoirs publics réagiront à leur détresse, en particulier à celle des exploitants pour qui l’abricot et la cerise représentent l’essentiel des activités. Ceux là ont, en une nuit, perdu les revenus de toute une année de travail et les conséquences en seront dramatiques pour l’avenir de leurs exploitations. On sait que la procédure de déclaration de «calamité agricole » est en cours pour le département. On parle aussi de possibles dégrèvements de l’impôt foncier, d’une suppression des cotisations M.S.A. et des subventions que l’on attend de l’état, du Conseil Général, ou Régional. On dit que les banques et les assureurs pourraient faire un effort et alléger ou ajourner les annuités ou les primes des agriculteurs les plus touchés…

    En attendant, ce qui est certain c’est que cet été l’abricot se fera rare et cher ! On apprend en effet que l’Espagne, l’Italie et la Grèce ont eux aussi subit des intempéries et que la production dans ces pays sera faible, voire inexistante ! Cet été pour avoir des abricots sur nos tables il faudra le faire venir de Turquie… ! Pour une fois, le malheur des uns ne fait pas le bonheur des autres…

        Alain BOSMANS