Des chevaux et des hommes
« Le Dauphiné Libéré » du 05/03/98
 

C’est au cœur des Baronnies, à l’ombre du Ventoux et en bordure de l’Ouvèze, que la famille Petit s’est installée voilà vingt six ans pour y créer un élevage hippique où sont accueillis des enfants en difficulté. Ici on dresse des chevaux tout en élevant des hommes ! Et vice versa...
 

    Le week-end dernier Cédric Petit était à Ales, au Concours National de Jumping de la métropole Cévenole. Il y terminait premier dans deux épreuves de sauts d’obstacles sur les trois auxquelles il participait. Une belle performance à laquelle néanmoins on ne fait plus tellement attention au « Chico-Ranch » de La penne sur Ouvèze tant on s’est habitué aux trophées ramenés régulièrement par le fils de la maison lorsque, début mars, la saison des concours hippiques commence. Il est vrais que Cédric a toutes les raisons d’être un cavalier exceptionnel : « L’équitation : Je suis tombé dedans tout petit... » avoue-t-il avec fierté et malice. C’est en effet en 1972, alors qu’il n’avait que quelques mois que ses parents Mireille et Jacques Petit, alors camionneur à Cavaillon, tous deux passionnés de chevaux, décident de s’installer sur les bords de l’Ouvèze, pour y réaliser leur rêve : Elever des chevaux dans les Baronnies et en vivre !

    Vingt six ans et d’innombrable difficultés plus tard, le résultat est là. Le « Chico Ranch », est un Centre d’élevage hippique réputé dans toute la France pour la qualité des bêtes qui y sont préparés. Cédric quant à lui est devenu un des concurrents de concours hippiques les plus redoutés de la région avec des victoires qui se comptent par centaines et un titre de « meilleur cavalier de France » remporté en 1992 au championnat de France de Fontainebleau. Situé sur le territoire de la commune de La Penne sur Ouvèze, à la sortie de Pierrelongue, en bordure de l’ancienne voie ferrée qui longe la rivière, le Ranch (qui porte le nom du premier cheval que la famille Petit acheta voilà 26 ans : « Chico »), héberge aujourd’hui en permanence une trentaine de chevaux de 3 à 4 ans d’âge, d’origine Française ou anglo-arabe.

    Le travail consiste à transformer ces bêtes qui n’ont jamais été dressées ni montées en chevaux de selle destinés à des centres sportifs équestres ou, pour les meilleurs d’entre eux, à des particuliers qui les feront concourir dans des compétitions d’obstacles. Et c’est précisément pour les faire connaître que chaque week-end, de mars à novembre, Cédric participe aux différents concours de « jumping » organisés dans le sud de la France avec les 3 ou 4 de ses meilleurs montures. « En fait, c’est surtout les concours hippiques qui font vivre le centre », explique Cédric, « la plus value générée par le dressage d’un cheval est relativement faible, par contre une bête qui gagne régulièrement des concours peut rapporter gros à chaque compétition et sera revendue avec une forte marge bénéficiaire ». On comprend donc l’importance du choix des 4 ou 5 chevaux qui seront achetés chaque année et dont on espère à chaque fois que l’un d’eux deviendra une vedette du saut d’obstacle.

    Mais si le Centre équestre des Baronnies est trés connu des amateurs de chevaux de la région, (ce qui, somme toute, est bien normal pour un centre équestre), il l’est également, ce qui est plus étrange, de tous les juges pour enfants de ce pays. C’est en effet dés le début des années 80 que la famille Petit eut l’idée de faire partager leur cadre de vie, l’isolement et la beauté du lieu, le contact avec la nature et le dressage des animaux, à des enfants en difficulté. Tout d’abord « Famille d’accueil » puis devenu « Lieu de vie », le Chico-Ranch est aujourd’hui agréé par les tribunaux et le Conseil Général de la Drôme pour recevoir une dizaine de jeunes en déshérence.

    Ce sont uniquement des garçons, ils ont entre 11 et 18 ans, sont en situation de délinquance précoce et lorsqu’ils arrivent au Ranch envoyés par le Juge pour enfants ils ont déjà été pour la plupart refoulés de plusieurs familles, foyers ou écoles d’où ils ont été jugés indésirables. Le centre est bien souvent pour eux la dernière chance avant la prison. Jacques Petit ne cache pas que ses pensionnaires ne sont pas des enfants de cœur. « Ce sont des durs, et avec eux il faut être dur. Dur et juste ! L’objectif est de leur faire préférer les chevaux à la correctionnelle. »

    Une vie collective en plein air solidement encadré par la famille Petit, l’apprentissage des métiers du cheval, les travaux d’entretien d’une ferme et les soins aux animaux (il y a là une véritable arche de Noé avec, outres les chevaux et poneys, des chiens, chats, chèvres, moutons, canards, oies) ; telle est la méthode utilisé au Chico-Ranch pour restructurer ces jeunes et les préparer à la réinsertion sociale. Une démarche qui a fait ses preuves et dont l’efficacité est reconnue par de nombreux juges pour enfants, comme en témoigne le reportage sur le centre des Baronnies réalisé récemment par Laure Adler pour la télévision dans le cadre de la série documentaire « Justice en France » diffusé sur France 2.

    Ce qui fait l’originalité de ce Centre équestre est précisément là, dans la complémentarité des deux activités : le dressage des chevaux et le sauvetage des enfants. Les soins variés et incessants que nécessitent l’entretient et l’élevage d’une écurie de cette importance occupent les jeunes pensionnaires à plein temps. Ceux-ci sont par ailleurs naturellement attirés par l’univers du cheval, par le défi physique que représente la maîtrise et le contrôle de l’animal, enfin par la possibilité offerte d’apprendre un des métiers du cheval pouvant éventuellement déboucher à la majorité sur un emplois dans une écurie ou un centre équestre.

    Dimanche prochain Cédric Petit participera au Jumping National 2 de Montpellier Grables. Il y sera avec 3 chevaux et 4 jeunes et pendant 48 heures c’est tout une équipe qui se battra pour remporter un bon classement, un titre, une coupe. Le succès du Chico-Ranch de La Penne sur Ouvèze tant du point de vue hippique qu’éducatif est probablement là ! Que ce soit le cheval qui ne fait pas tomber la barre, le cavalier qui fait corps avec sa monture ou les palefreniers qui le bichonnent, la victoire est l’affaire de tous et c’est ensemble que l’on gagne ou que l’on perd.

        Alain Bosmans