Les castors vont-ils être noyés ?

(Le Dauphiné Libéré du 4 mai 1997)
 

Jean Michel et Marie Polo avec leur fils Jérémy

3 ans après l’affaire SELAMI, le même village de Drôme provençale abrite un conflit social complexe et douloureux dont l’issu ne sera pas sans conséquence pour les 3000 campings installés en France en bordure de rivières.
 

    Pierrelongue est un village aux apparences pourtant bien paisible que rien ne prédispose à faire la une de l’actualité. A égale distance de Buis et de Mollans aux confins de la Drôme Provençale et du Vaucluse, cette commune de 135 habitants en bordure d’Ouvèze ne se signale aux visiteurs que par la hardiesse architecturale de son église moderne juchée en équilibre au sommet d’un éperon rocheux dressé au beau milieu de la modeste agglomération. Et pourtant... ! Souvenons nous ! c’est à Pierrelongue en mai 94 qu’éclate « l’affaire Selami », du nom de cette famille de ressortissants algériens menacée d’expulsion et en faveur de laquelle tout un village, celui de Pierrelongue précisément, puis une région et finalement le pays tout entier se mobilisera... ! Aujourd’hui c’est encore une affaire étrange et sensible qui secoue et divise Pierrelongue, mobilise l’avocat Jacques Verges, modifie la jurisprudence du Conseil d’état, et dont le dénouement sera suivi avec infiniment d’intérêt par les quelques 3000 campings situés en bordure de rivières Françaises et les communes sur lesquelles elles se situent.

Une plaisanterie qui ne fait pas l’unanimité.

    L’affaire commencent voilà 18 ans de cela par une plaisanterie de la nature. Un propriétaire de Mollans, Mr Auragnier, excédé par la prolifération des castors qui dévastent ses pommiers en bordure d’Ouvèze, décide de reconvertir son verger en terrain de camping. Rapidement il s’aperçoit que les revenus générés par l’hébergement de caravanes sont beaucoup plus important que ceux de la commercialisation des pommes. Dans le même temps cette nouvelle implantation n’est pas du goût de tout le monde. Elle se heurte dés 1979 à l’hostilité d’une partie de la population de Pierrelongue et de la majorité du conseil communal qui refusera pendant 18 ans de délivrer le moindre permis de construire, autorisation de fonctionnement, arrêté de classement, etc... ; documents qui devront être obtenus par le propriétaire auprès de la préfecture contre l’avis du conseil communal. En 18 ans le conflit aura le temps de diviser profondément le village. Il y a ceux qui sont pour « les Castors », voyant les retombées économiques importantes pour la région de l’implantation de cette nouvelle activité ; et il y a ceux qui sont contre « les Castors » arguant successivement au fil des années des raisons d’accès routier, sanitaires, culturelles, environnementales et puis essentiellement sécuritaires après 1992.

Jacques Verges s’en mêle et tue « les Castors » !

    L’affaire prend en effet une dimension tout à fait particulière après la catastrophe de Vaison le 22 septembre 92. En effet, bien que le camping des « Castors » de Pierrelongue n’ai pas été le moins du monde inondé ce jour là, bien qu’il réponde depuis à toutes les exigences des différentes commissions départementale de sécurité chargées de vérifier la conformité du camping avec les décrets d’application de la nouvelle loi du 8 janvier 93, bien que toutes les expertises administratives ou judiciaires aient conclues à la non-inondabilité de l’emplacement, la catastrophe de Vaison donnait subitement aux arguments sécuritaires des adversaires des « Castors » et particulièrement à l’arrêté municipal de fermeture du camping pris par le maire de Pierrelongue en avril 93, une toute autre dimension que les objections concernant le bouleversement de l’environnement agro-pastorale qui servait jusque là d’argument principal aux « anti-Castors ».

    D’un coté comme de l’autre on ne désarme pas. Le contentieux se déroule désormais devant les tribunaux. Celui administratif de Grenoble déboute le maire par 2 fois et annule son arrêté municipal de fermeture en août 94. La commune fait alors appel en Conseil d’état et engage les services du célèbre avocat Jacques Verges qui obtient finalement du Conseil d’état, le mois dernier, l’annulation de ce dernier jugement en précisant que le Maire de Pierrelongue n’a pas outrepassé ses pouvoirs lorsqu’en 93 il remettait en cause la présence de ce camping à cet emplacement pour des raisons de sécurité. Cet arrêté du Conseil d’état du 17 mars 97, en accordant désormais aux communes des pouvoirs quasi discrétionnaires (et les responsabilités consécutives) en matière d’autorisation de fonctionnement des campings situés en bordure de rivières, fera sans nul doute jurisprudence. Les anti-castors semblent avoir gagné cette fois-ci définitivement. Le conseil d’état statuant en dernier recours la commune a désormais les mains libres pour interdire la présence du camping à cet emplacement.
 

Une liberté bien encombrante.

    Une liberté si longtemps et si chèrement souhaitée, mais qui devient aujourd’hui subitement bien lourde de responsabilité... ! Car en 18 ans les Castors ont eu le temps de grandir ! L’année dernière ils ont comptabilisés 12 000 nuitées et aux vues des réservations enregistrées à ce jour pour la période estival ce chiffre devrait être en augmentation de plus de 50%. A ces considérations purement économiques (mais non négligeables pour les retombées dont bénéficient les commerçants des communes environnantes) s’ajoutent depuis 2 ans un contexte social et humain sensible. En février 95 et pour la 4 ème fois, les « Castors » changent de mains et sont rachetés par un jeune couple de Nantes, Jean Michel et Marie Polo avec leur trois enfants, qui décident d’investir toutes leurs économies (plus quelques emprunts) dans cette affaire, ignorant alors totalement que l’avenir de celle-ci est lié au talent de Maître Verges. Aujourd’hui, le maintient de la décision de la commune d’interdire le fonctionnement d’un camping à cet emplacement contraindra inévitablement la famille Polo à annuler les réservations déjà enregistrées pour cet été (une centaine de familles) et à se déclarer en faillite, se retrouvant littéralement ruinée et à la rue. Une telle perspective a immédiatement mobilisé tous les « Pro-Castors » qui ont formés, comités de soutiens et recueilli prés de 500 signatures en quelques jours.

Les bons offices de la préfecture.

    Devant une telle situation le maire de Pierrelongue, René Fauchier, qui a refusé de répondre à nos questions, a tout récemment demandé la médiation de la sous Préfecture de Nyons pour tenter de se sortir honorablement de ce redoutable guêpier. Le sous préfet Philippe François nous a en effet confirmé qu’il consultait les différents services et administrations concernés, organisant dans les meilleurs délais divers réunions de travail de façon à pouvoir proposer à la commune de Pierrelongue une solution de conciliation qui donnerai au Maire le maximum de garantie en matière de sécurité tout en préservant l’outil économique d’une activité dont le village et la région ne peuvent qu’être bénéficiaire. Souhaitons qu’un tel compromis puisse être rapidement mis en place et que vivent « Les Castors » en toute sécurité et en harmonie avec leurs voisins.

       Alain Bosmans