Le menuisier de Ballon
« Le Dauphiné Libéré » du 11/10/97
 

En choisissant de s’installer voilà 9 ans dans l’un des endroits les plus isolés et excentrés du Sud de la Drôme pour se consacrer à la restauration du patrimoine, un artisan menuisier participe à la renaissance d’un village.
 

    C’est l’histoire d’une rencontre ! Une rencontre comme la vie sait parfois en ménager entre un homme et un lieu. Le lieu est situé aux confins Sud Est du département, à la lisière des Hautes Alpes, des Alpes de Haute Provence et du Vaucluse, ultime village Drômois de la vallée de la Méouge, accroché aux pentes de la montagne de Chabre, la route qui conduit à Ballons ne mène nulle part ailleurs. L’homme est menuisier, 36 ans, grand, mince, une calvitie précoce accentue la noblesse de la silhouette et la sérénité des propos de celui qu’une passion anime.

    Originaire de Bourg en Bresse, Jean Yves Ginel est très tôt attiré par le travail du bois. Il entame dés 1977 un apprentissage traditionnel de menuisier ébéniste qui le conduira dans différents ateliers à travers la France entière pendant plus de 10 ans. Le hasard des rencontres et le désir de se mettre à son compte en créant une entreprise le met en rapport en 1988 avec Claude Pomero, le maire de Ballons. La commune qui comptaient 480 habitants au début du siècle est alors réduite à 47 âmes et le souci de son maire, natif de Ballons et instituteur en poste à Ste Jalle puis à Sisteron est d’éviter à tous prix la disparition complète de son village. Sous l’impulsion du conseil municipal et de la population toute entière (l’échelle du village permet une gestion en démocratie directe), un dossier est constitué et déposé à la préfecture et auprès du Conseil Général afin d’obtenir des aides pour la création d’une entreprise de Menuiserie-Ebénisterie génératrice d’emplois nouveaux à Ballons ! Le projet paraît loufoque mais l’opiniâtreté des deux hommes est finalement récompensée. Un plan de financement est obtenu, la commune construit l’atelier et fait l’acquisition des premières machines. Jean Yves Ginel se met aussitôt au travail avec un, puis deux, apprentis, se concentrant dans un premier temps sur la conception et la fabrication de meubles de tous styles et toutes époques qui sont commercialisés en étant présent aux différentes foires expositions de la zone PACA - Rhône Alpes. Trois ans plus tard l’entreprise a réalisé ses objectifs et emploi trois salariés à plein temps.

    En 1989, à la suite d’un stage international organisé par « Jeunesse et Patrimoine », Jean Yves Ginel réalise que la restauration de monuments historiques aussi bien en ébénisterie (remise en état de meubles) qu’en menuiserie (réhabilitation de planchers, plafonds, boiseries, fenêtres, volets, moulures, etc..) donne une dimension supplémentaire à son métier. Une véritable passion pour la menuiserie de patrimoine s’empare de lui. Une passion qui devait déboucher naturellement et rapidement sur un marché en plein essor en ce début des année 90 : celui de la restauration des monuments historiques. Dés 1992, la menuiserie de Ballons obtient des contrats importants à l’abbaye de St Antoine dans l’Isère, à l’ancien Evêché de Grenoble, au château de Simiane devenu l’Hôtel de ville de Valréas, au château de Pampellonne en Ardèche ou celui de Gouvernet dans la Drôme et enfin tout récemment un prestigieux contrat de restauration de menuiserie à l’Hotel d’Albertas d’Aix en Provence.

    En 5 ans, le menuisier de Ballons, qui a obtenu les différents agréments de la DRAC et du ministère des affaires culturelles lui permettant de répondre à tous les appels d’offre de restauration de monuments historiques publiques ou privés, est désormais connu et reconnu dans le milieu restreint de la restauration du patrimoine Français. Une notoriété qui lui vaut d’exposer pour la deuxième année consécutive des échantillons de boiserie et marqueterie au Salon International du Patrimoine au Carrousel du Louvre à Paris et d’y être remarqué en obtenant l’année dernière des mains de M. Rafarin, ministre de l’artisanat de l’époque, un prix spécial du Jury récompensant « le parcours exemplaire de l’entreprise et de son équipe ».

    Car pour accéder à ces marchés et réaliser ces chantiers, il faut bien sûr aimer son métier et atteindre un niveau de rigueur professionnel élevé. « Mais être bon artisan ne suffit pas », avoue Jean Yves Ginel, « Il faut aussi former, au propre comme au figuré, une équipe capable d’intervenir sur tel ou tel monument. Et la réussite de cette « formation » réside dans le fait de rendre sa propre exigence communicative. C’est ce qui constitue la marque de l’identité de l’atelier ». Autour de Jean Yves Ginel, l’équipe de base, ceux qui représentent les piliers de l’entreprise et qui partagent avec lui cette passion pour « le bel ouvrage » ont tous été recrutés localement au fil des ans. Stéphane Mouchère de Ballons, Joël Belaous de Ste Euphémie et Boris Jouveau de Noyer sur Javron, auquel il faut ajouter un apprenti en formation et jusqu'à une demie douzaine d’employés à durée déterminée selon la nature des chantiers.

    Aujourd’hui l’avenir de l’entreprise s’annonce radieux. Le marché est là, le livre de commandes et de contrats est plein pour les deux ans à venir et le capital humain est disponible sur place qui vient enrichir le village d’une population jeune et nouvelle. « De 47 habitants au recensement de 90, le village comptent aujourd’hui 62 âmes », annonce fièrement Claude Pomero, le maire de Ballons, qui poursuit ses actions pour inciter de nouvelles entreprises à venir s’installer dans son « petit coin de paradis ». Avec succès, semble-t-il, puisque depuis 10 ans, en plus de la menuiserie Ginel, un plombier chauffagiste, un électricien et une jeune agricultrice (travaillant en agriculture Bio dans le domaine innovant de la « lacto-fermentation »), se sont récemment installés au village.

    A tel point qu’aujourd’hui le manque de logements locatifs à Ballons se fait cruellement sentir et que c’est pour y remédier que, toujours sous l’impulsion de son infatigable maire, l’O.D.H. a financé la construction à Ballons de quatre logements H.L.M. qui furent inaugurés le 24 septembre dernier en présence de Michel Cossantelli, conseiller général et de Philippe François, sous préfet de Nyons. Ce dernier ne soulignait-il pas récemment que c’est dans les endroits les plus isolés de la Drôme du sud que se manifestait le dynamisme le plus novateur et qu’on y trouvait les pistes les plus prometteuses du renouveau de la région. L’aventure du menuisier de Ballons semble en être une exemplaire illustration.

         Alain BOSMANS