Hommage à un sauveur de patrimoine
 
(Article du Dauphiné Libéré du x septembre 1998)
 
 
Le comte Charles Suarez d’Aulan - Trois générations d'Aulan pour cet hommage à l'ami de Giono
 
 
 
A 88 ans, le toujours très allègre comte d’Aulan a été promu officier des Arts et des Lettres en récompense d’une existence entièrement dévouée à la sauvegarde d’une histoire et d’un patrimoine que ses ancêtres auront contribué à façonner.

        Tandis que l’on s’apprête à organiser dans toute la France les journées du Patrimoine durant le week-end du 19 et 20 septembre, une très émouvante cérémonie avait lieu samedi dernier au château d’Aulan, dans un des sites historiques et patrimoniaux les plus originaux de la Drôme provençale. Il s’agissait de promouvoir le maître des lieux, le comte Charles Suarez d’Aulan, au grade d’officier dans l’ordre des Arts et des Lettres pour avoir consacré toute sa vie à restaurer le château familial et d’en avoir assurer la pérennité. En présence de Jean Mouton, président du Conseil Général et de nombreux élus de toute la région, c’est le propre fils du comte, Diégo de Suarez d’Aulan, maire d’Aulan et chevalier du Mérite national, qui fut habilité à remettre cette décoration à son père. La cérémonie s’est déroulée dans la cour d’honneur du château réunissant les membres et amis de la famille du conte parmi lesquels se remarquaient les uniformes de 4 de ses petits-fils qui continuent à servir leur pays dans différentes armes.

        Situé dans le sud des Baronnies entre Montbrun les Bains et Séderon, juché à 777 mètres d’altitude sur un éperon rocheux qui domine l’étroit défilé que forment à cet endroit les gorges du Toulourenc, le château d’Aulan (inscrit à l’inventaire des Monuments Historiques) est toujours la propriété de la famille Suarez d’Aulan et reste la seule demeure privée des Baronnies ouverte à la visite. Une visite (voir l’encadré ci dessous) que des touristes de plus en plus nombreux chaque année ne manquent pas d’effectuer avec d’autant plus d’intérêt que celle-ci est toujours assurée par le propriétaire des lieux lui-même, le Comte Charles Suarez d’Aulan, en dépit des 88 ans qu’il porte allègrement… Il est vrai que personne d’autre mieux que lui ne peut raconter l’histoire de cette famille et de ce château à la restauration duquel il aura consacré le plus clair de son existence.

        Né en 1910, Charles acquiert très jeune le goût de l’histoire et des recherches généalogiques. A 10 ans, il est présenté à l’impératrice Eugénie de Montijo, l’épouse de Napoléon 3, dernière impératrice des Français, dont un de ses ancêtres fut l’écuyer. C’est en 1933 que son cousin germain, le marquis Jean de Suarez d’Aulan (qui sera abattu au combat en plein ciel de France le 8 octobre 1944) lui confie le soin de restaurer le château familial d’Aulan. Pour ce jeune homme de 23 ans la tâche est immense. Le château qui a subi au cours des âges de multiples remaniements a été abandonné et pillé depuis 1914. Il n’y a plus un seul meuble et les bâtiments eux-mêmes sont fortement délabrés. Il est difficile de parler encore de toiture et les murs consentent difficilement à se maintenir les uns aux autres. Loin de se décourager, le jeune comte va réunir toutes ses forces pour tout reconstruire. Le château d’abord, les murs qu’il faut consolider, les escaliers, la toiture, les cheminées, mais également les terres alentour, laissées en friche et que le jeune homme s’acharne à rendre fertiles. Durant plusieurs années, il déploiera des trésors d’énergie, un jour cultivant, un jour maçonnant.

        Jean Giono, René Char et Albert Camus seront d’ailleurs frappés par l’enthousiasme de ce jeune hobereau vivant la fourche et la truelle à la main. Car le château d’Aulan en effet, avant de devenir un site touristique, reçu la visite de plumes illustres. Ainsi Jean Giono qui notera lors de sa première visite à Aulan en 1935 : « Comte d'Aulan : il fait marcher sa trompe… pour demander aux paysans s’ils n’ont pas de commissions. Il fait les foins avec des paysans. Il achète des pierres pour son château ». René Char y viendra souvent et particulièrement dans l’hiver 44 lorsqu’il est le « Capitaine Alexandre » et que le château est devenu le P.C. régional de la résistance après le massacre de 35 résistants à Izon la Bruisse. A cette époque, le comte Charles rejoint les maquis du Ventoux avant de s’engager en 1944 dans l’armée régulière où il s’illustrera à la campagne de France et au passage du Rhin. Pour ces hauts faits, il recevra la croix de guerre des mains du Général Koenig. Albert Camus enfin, séduit par le site, la solitude et le profond silence qui l’entoure, envisage peu de temps avant le tragique accident qui lui coûtera la vie, de louer le château pour y finir de rédiger « Le premier homme ».

        La restauration d’un monument d’une telle ampleur, la récupération du mobilier et des objets de famille éparpillés aux quatre coins du pays, ne se fait pas, on s’en doute, sans argent. Aussi pour mener à bien cette vaste entreprise tout en élevant ses six enfants, Charles Suarez d’Aulan devra trouver un travail rémunérateur. Dans les travaux publics tout d’abord, puis dans les Ponts et Chaussées où il terminera sa carrière. Ayant été maire de la commune d’Aulan (qui compte 6 habitants aujourd’hui…) pendant plus de 40 ans, il est désormais remplacé à ce mandat par son fils Diégo, mais continue de porter fièrement le titre de « Maire honoraire d'Aulan » que lui a accordé le préfet de la Drôme.

        Le comte d’Aulan siège également à l’Académie de Vaucluse d’Avignon où l’on apprécie l’importance et la qualité du travail de recherches historiques et généalogiques qu’il a accompli au fil des ans. Tout en restaurant un monument profondément original (qui servira plusieurs fois de décor au tournage de feuilletons télévisés dans les années 60) le conte d’Aulan s’est aussi attaché, en transformant son château en musée familial, à faire connaître le rôle que les Suarez d’Aulan jouèrent au cours des siècles dans l’histoire de la région. On ne retiendra ici que deux réalisations importantes dont on connaît aujourd’hui la valeur. La création de l’établissement thermal de Montbrun et un vaste programme de reboisement à base de pins noirs d’Autriche sur le flanc des montagnes du Dauphiné.

        Oui décidément, en remettant samedi cette haute distinction sur la poitrine de Monsieur le Comte d’Aulan, l’état français n’a fait que reconnaître l’admirable travail accompli par ce sauveur de patrimoine. Tout comme ses ancêtres auront participé à l’écrire, Charles Suarez d’Aulan lui, n’aura eu de cesse de préserver, de sauver et finalement de restituer l’histoire de cette terre à la fois Dauphinoise et Provençale, à laquelle il est si attaché.

        Alain BOSMANS
 
 
 

Le Chateau d'Aulan: Suivez le guide...
 
(article du Dauphiné Libéré du x septembre 1998)
 
 
  
La "Piéta" (école espagnole du 14 éme siécle) - Le château d'Aulan - Le comte d'Aulan devant la" Piéta"
 
 
        Situé tout à fait dans le sud de la Drôme, en bordure du Vaucluse, la vallée du Toulourenc qui sert à cet endroit de frontière aux deux départements s’enfonce dans les Baronnies après Montbrun les Bains dans une gorge étroite et profonde. C’est sur un éperon rocheux qui domine ce véritable canyon aride et sauvage que le château d’Aulan fut construit au 12ème siècle par les barons de Mévouillon à l’emplacement d’un oppidum romain. Propriété de la famille de l’Espine, le château est apporté en dot aux Suarez (une famille de seigneurs espagnols installée dans la région d’Avignon dés le début du 16 ème siècle) à l’occasion du mariage en 1635 d’Isabeau de l’Espine avec François-Marie de Suarez. Leurs descendants, les Suarez d’Aulan tour à tour au service du roi, des empereurs puis de la république ne devaient plus quitter la région dont ils contribuèrent à écrire l’histoire. Le château sert de musée conservant les souvenirs étonnant de cette noble famille.

        Une vingtaine de salles, richement décorées et remarquablement meublées d’un mobilier de goût sont ouvertes à la visite tout en servant de demeure au comte. On remarquera une « adoration des mages » peinte par Léonard Bramer (école flamande du 17 ème siècle) ainsi qu’un étonnant et unique « calendrier universel et perpétuel » que l’on vient consulter au château de fort loin. Dans la « grande salle », où l’on prendra la mesure de l’ampleur des travaux de restauration déjà réalisés et de ce qu’il reste à faire, on admirera surtout la « piéta », un superbe ensemble en bois sculpté de l’école espagnole datant du 14 ème siècle. Parmi les riches archives et nombreux portraits de famille commentés par le conte, on aura plaisir à l’entendre raconter l’extraordinaire destin de l’un de ces ancêtres : François de Larderel. Ce génial Dauphinois, suivant les troupes Napoléoniennes en Italie, découvrit en Toscane les vertus de la géothermie. Et c’est ainsi qu’il fut à l’origine de la création de la ville italienne de Larderello (qui porte son nom donc), de la production minière du barox, souffre et phosphore qui a longtemps fait la richesse de cette région toscane ainsi que la construction des très nombreuses centrales électriques géothermiques qui encore aujourd’hui fournissent de l’électricité à toute une partie de l’Italie…

        En juillet et août, le château est ouvert tous les jours à la visite, celle-ci étant le plus souvent assurée par des étudiants en histoire ou archéologie. Le reste de l’année la visite est assurée par le comte Charles de Suarez d’Aulan lui-même sur rendez-vous seulement : tel : 04 75 28 80 00.

            Alain BOSMANS